Tonya Corkey : Sweet Dreams

Du 11 janvier au 1er mars 2025
Vernissage : Le samedi 11 janvier 2025 de 15h à 17h
Tonya Corkey: Sweet Dreams

Texte de Liuba Gonzalez De Armas, traduit de l’anglais par Aude Beauchemin

Allant à l’encontre de la préoccupation conventielle liée à la perte de mémoire, Corkey propose une réflexion sur le processus et l’utilité de l’oubli. À travers le souvenir, nous reconsidérons et redéfinissons nos mémoires. Même les souvenirs apparemment anodins peuvent tourmenter lorsqu’ils sont rappelés de manière excessive. Ce dont on ne se souvient pas, que ce soit par choix ou par circonstance, peut être oublié. L’oubli permet à l’esprit de trier ce que est précieux et ce qui ne l’est pas, de se débarasser de ce qui nuit, hante ou encombre sans raison ni leçon à en tirer.

L’utilisation par Tonya Corkey de la charpie – un matériau récurrent dans sa pratique – trouve une nouvelle pertinence poétique en tant qu’incarnation matérielle de la mémoire. Prélevé auprès de ses amis et de sa famille, la charpie porte en elle un riche assortiment de matières telles que des fibres textiles, des cheveux, des squames (cellules mortes de la peau), des pigments et d’autres particules de poussière issues de l’activité humaine. Comme la terre, la charpie est un matériau d’archive; il indexe et documente la réalité matérielle quotidienne de l’individu. En tant que matériau de travail, il possède une remarquable polyvalence formelle que Corkey met en valeur dans cette série d’œuvres à travers des techniques de feutrage et de moulage expérimental.

Sweet Dreams, l’installation éponyme au centre de l’exposition, présente une scène nocturne intime avec une projection vidéo à la tête d’un lit double recouvert d’une couverture en patchwork. La vidéo en stop-motion reproduit les panneaux de la couverture en feutre de peluchon posée sur le lit, retraçant le parcours d’une chauve-souris capturant et mangeant des mites. Ici, Corkey articule les souvenirs comme des créatures nocturnes : les chauves-souris, en voletant, rappellent les pensée intrusives, les nuits tardives toumentées par des ruminations sur un moment passé, une spirale de mal-être. En revanche, les mites, richement dessinées, incarnent la délicatesse des souvenirs nostalgiques. Les deux portent les tons atténués et les bords flous et indéterminés des souvenirs qui s’estompent. Le cadre de ce drame est notable, le lit étant à la fois un lieu de confort et de grande vulnérabilité. Corkey suggère ainsi la capacité de la mémoire à se réévaluer et à s’adapter au travers du souvenir.

Two Figures Hauling More Than They Can Carry (2022) fait référence au conte folklorique islandais de Reynisdrangar, un groupe de piliers rocheux de 65 mètres de hauteur dans l’océan Atlantique, juste au large de la plage de Reynisfjara. L’histoire raconte que ces piliers étaient autrefois des trolls qui, dans une tentative de tirer un bateau à trois mâts vers le rivage, furent pris au piège par l’aube et instantanément transformés en pierre. La version de Corkey, réalisée en charpie et laine islandaise, présente une série de figures humaines prises dans la silhouette du pilier rocheux. Toutes les figures sont des autoportraits abstraits, pris la nuit et en mouvement, avec seulement la dernière figure sortant de la formation rocheuse. L’œuvre assimile la rétention de certains souvenirs à l’effort de transporter une charge encombrante et, comme dans le conte folklorique original, avertit contre la priorité donnée à une fixation qui pourrait prendre le pas sur la survie.

Sweet Dreams propose une série d’interprétations formelles de la mémoire et de l’oubli, combinant la polyvalence formelle et le poids symbolique de la charpie avec la fantaisie narrative des fables et contes populaires pour offrir des réflexions subtiles et pénétrantes sur la vie.