À la frontière du monochrome : Yves Gaucher, Neil Harrison, Braden Labonté, Michelle Lundqvist, Guido Molinari, Barbara Todd, Claude Tousignant, Henri Venne, Jinny Yu
Texte d’Anaïs Castro
La couleur est l’essence de la peinture, ce que le sujet ne manque jamais d’anéantir -Kasimir Malevitch
Le monochrome apparait dans l’histoire de la peinture d’abord dans le travail des peintres russes Kasimir Malevitch et Aleksandr Rodchenko au début du 20ième siècle. Il s’agit avant tout d’une proposition esthétique radicale dont le but est de révéler à travers la pureté de la couleur et la simplicité de la forme des vérités mystiques et spirituelles, dites suprêmes (ce qui donna le nom de Suprématisme à cette peinture). Mais il s’agit aussi d’une affirmation révolutionnaire ayant une résonnance fortement politique qui souhaite remplacer la peinture traditionnelle associée à la monarchie par un nouveau paradigme pictural. La résurgence du monochrome dans les décennies qui suivirent dans diverses parties du monde (en Italie, en France, aux États-Unis et au Japon, notamment), soulève plusieurs questions sur ce que l’abolition de la figuration suggère, sur le potentiel quasi-inexhaustible que les artistes trouvent dans la simplicité de la couleur et de la forme et de façon peut-être plus significative, ce qui est et ce qui a été en jeu dans la stratégie du monochrome.
Dans le Québec de l’après-guerre, à l’art abstrait est apparu avec un programme similaire à celui des artistes russes un demi-siècle plus tôt. Il s’est avéré être le cheval de bataille d’un groupe d’artistes, connu pour avoir signé le Refus Global et dont l’héritage culturel dans la Belle province est prisé pour avoir préparé le terrain de la révolution tranquille ayant débuté approximativement dix ans plus tard.
L’exposition chez Art Mûr rassemble trois générations d’artistes dont le travail échappe de justesse à la peinture monochromatique. La première génération réunit les figures de proue de l’avant-garde québécoise, mieux connus sous le nom collectif des Plasticiens : Claude Tousignant, Guido Molinari et Yves Gaucher. La deuxième génération comprend Jinny Yu, Henri Venne et Barbara Todd, trois artistes dont la pratique prend racine dans la peinture monochromatique, mais avec une tournure contemporaine. La référence à la première génération de peintres est la plus délibérée dans le travail d’Henri Venne. À la croisée de la peinture et de la photographie, ses œuvres partagent la même esthétique formaliste que la génération qui le précède. L’utilisation de l’aluminium réfléchissante de Jinny Yu permet au regardant de se confronter à l’acte de regarder, de voir. Son travail apparait constamment en changement selon la lumière, selon la position dans l’espace de celui ou celle qui le regarde. Barbara Todd utilise du textile plutôt que des pinceaux pour se réapproprier une esthétique trop souvent à tort associée à la masculinité (à l’exception de Françoise Sullivan, dont la contribution ne devrait pas manquer d’être rappelé).
Le travail de Neil Harrison, de Braden Labonté et de Michelle Lundqvist, la plus jeune génération, révèle les mêmes soucis esthétiques à travers des formes géométriques simples et un contrôle de la couleur qui caractérisent les générations avant eux. Ils ne se contentent pas de simplement recopier ce qui a déjà été fait auparavant. Étant de leur temps, ils trouvent par des moyens contemporains des façons de réintégrer le monochrome dans le paysage artistique contemporain. Ils semblent avoir compris un langage de formes et de couleur persistant et continuent d’explorer ses possibilités en de surprenantes compositions.