Hantise

texte de Ève De Garie-Lamanque

Objets inanimés, avez-vous donc une âme?
Lamartine

Alors que l’âme, ou anima, fut très longtemps considérée comme l’apanage exclusif de l’être humain dans la culture occidentale, la réflexion amorcée par Alphonse de Lamartine dans cette prose est intéressante en ce qu’elle questionne non seulement notre perception et notre compréhension de l’univers, souvent anthropocentriques, mais en ce que les interrogations qu’elle soulève préoccupent nombre d’individus de sphères très différentes, allant de la création artistique à la recherche scientifique.

En effet, l’aura ou l’âme de l’objet a fasciné et fascine toujours poètes et écrivains, qu’il s’agisse de Guy de Maupassant, dont les objets mentionnés dans ses nouvelles fantastiques deviennent soudainement « vivants », ou encore Yoko Ogawa, écrivaine contemporaine japonaise dont les écrits sont littéralement hantés par le pouvoir d’objets ordinaires devenus extraordinaires; historiens de l’art, dont Georges Didi-Huberman, qui a écrit longuement sur l’aura de l’objet d’art, la relique et le génie du non-lieu; sociologues, dont Nathalie Heinich, qui élabora le concept de « l’objet-personne » ; ou encore les spécialistes de l’occulte et de la psychométrie, qui peuvent entre autres « lire » un objet pour ensuite faire état de son passé et de sa « conscience » .

C’est dans ce contexte à la fois inspiré et inspirant que se situe ce projet d’exposition qui regroupe dix artistes (dont un duo) dont les créations sont toutes hantées de cette « présence magique » décrite par Heinich . Ce pouvoir intrinsèque de l’objet et du lieu se manifeste de diverses manières d’un projet à l’autre, les artistes employant des stratégies très différentes afin de tantôt simuler, tantôt souligner une présence.

Ainsi, les œuvres de Laurent Craste, Guillaume Lachapelle et Kevin Yates sont empreintes d’une inquiétante étrangeté toute freudienne, alors que celles d’Annie Tung, de Spring Hurlbut et d’April Hickox relèvent plutôt de la trace et de la relique. Les photographies de lieux extérieurs et d’espaces clos d’Ewa Monika Zebrowski, des frères Jason et Carlos Sanchez, de Yann Pocreau et de Valérie Félix témoignent pour leur part d’une présence innommable et insaisissable. L’image devient alors lieu de confrontation avec une entité invisible – le paysage devient portrait.