Diplômé de l’Université du Maryland Baltimore County en arts numériques (MFA) et de l’Université de Windsor en Beaux-arts, sculpture (BFA), Scott Yoell présente ses œuvres dans diverses expositions de groupe et solo au Canada et aux États-Unis depuis près d’une dizaine d’années. Son art, qui exhale le fantastique dans son iconographie comme dans ses effets esthétiques, se déploie par le truchement de dessins, peintures, sculptures, installations, vidéos et performances.
La tourmente d’un monde déchiré par une hybridation profonde entre la nature et la culture se laisse découvrir dans une imagerie marine. Dans What Remains?, l’artiste évoque le North Pacific Gyre). Lieu mouvant et déjà empreint de surréalisme, ce désert marin tourbillonnant emporte avec lui une gigantesque accumulation de débris humains, communément appelé « Great Pacific Garbage Patch », s’échouant sur les plages vacancières d’Hawaï. L’installation de Yoell présente un tonneau d’eau dans lequel un bateau s’engloutit. Jouets, bouteilles, souliers de course et autres détritus s’échappent de l’embouchure du contenant. L’œuvre vidéographique Vortex révèle à son tour, comme une anamnèse, le remous qui se crée au passage des bateaux.
Le regard humain porte avec lui sa propre force imaginaire, mais aussi sa violence idéologique. Sometimes it Came by Road, Other Times it Came by Sea fait référence au voyage de Christophe Colomb à bord du Santa-Maria en 1492. Des rongeurs biomorphiques, sur lesquels un nez humain fait office de tête, entourent le navire. L’œuvre exprime le double sens d’une invasion : celui de la maladie de la peste, dont les rats étaient la principale source de dissémination, et celui de la contamination idéologique du colonisateur qui, selon les dires de l’artiste, « se répand comme la peste » et porte en elle une utopie erronée. Le tourisme actuel fait écho à cette forme d’invasion dans les œuvres A Fiction of Paradise, Poi koi et La Torre. Cette dernière illustre un bateau de forme ogivale, jouant à la fois le rôle d’une trappe à souris et d’une carte de tarot, celle de « La tour » brûlée par les feux célestes aussi appelée « Maison des Dieux ». Inspirée de Cadaquès, petit village de pêcheurs espagnol et résidence du célèbre peintre surréaliste Salvador Dalí, l’œuvre parle du lieu comme d’une « trappe à touriste » à son tour capturé par des milliers de visiteurs chaque année. Ne sont-ce pas les feux célestes, indomptables, qui détruisent ici la tour d’un paradis manufacturé? La conception du bonheur et par ricochet du lieu de parfait bonheur se transforme au fil des mythologies qui alimentent nos systèmes de domination : « chaque époque crée aussi son propre fantastique qui est le langage dans lequel elle énonce ses mythes personnels. »
Le caractère hégémonique des images médiatiques est ironisé dans un Michael Jordan transformé en zombie (It’s in You), un homme arabe traversant l’écran cathodique pour vomir sur le plancher (Somewhere Faraway in a Place They Call Guantanamo) ou encore un Hulk viril et enragé au milieu des gracieuses spores, cellules reproductrices asexuées (Cold, Pink and Alone). Oscillant entre la science-fiction et l’esthétique clinique, mais toujours empreint de fantastique, le travail de Scott Yoell nous parle des conflits perpétuels, des polarités qui engendrent les flux et reflux de l’histoire humaine.
1. Paradigme n. m. (philosophie) Dans la littérature anglo-saxonne récente, le terme paradigme est utilisé dans le sens donné par Kuhn : école de pensée, philosophie, Weltanschauung. (didactique) Modèle théorique qui sous-tend la recherche scientifique. L’émergence d’un nouveau paradigme.
2. Brion, Marcel (1961), L’art fantastique, Verviers (Belgique), Éditions Albin Michel, P.398.