Vernissage : Le samedi 14 janvier de 15 h à 17 h
Sonny Assu : Interventions On The Imaginary
Art Mûr, Montréal (QC)
Texte de Veronique Gagnon
Le plus récent corpus de l’artiste Sonny Assu nous transporte près de l’univers de la science-fiction, alors que des figures autochtones anciennes semblent envahies par une entité de l’espace. Ces œuvres digitalisées posent ainsi la question: et si la perception occidentale, actuelle et ancienne, des peuples autochtones tenait de la science-fiction? Cette série met donc de l’avant, pour mieux la démanteler, une vision imaginaire de l’autochtone, telle que véhiculée par l’histoire de l’art canadien.
Sonny Assu cite ici certaines figures importantes de l’art canadien pour souligner une croyance inhérente à la société canadienne du début du XXe siècle (et qui persiste encore aujourd’hui), soit la disparition annoncée des civilisations autochtones en Amérique. Nombre d’artistes américains et canadiens de l’époque ont dédié leurs travaux à documenter une culture qu’ils considéraient mourante (Paul Kane, Edward Curtis, George Catlin). Assu réinvestit ces tableaux anciens d’une présence bien vivante par la superposition de figures traditionnelles digitalisées. Le travail d’Emily Carr se voit particulièrement revisité par Assu. Ce dernier reconnait cependant la complexité de la posture de Carr qui, tout en participant au mythe de la disparition des autochtones, vouait un intérêt sincère pour ces peuples. Ces tableaux, réalisés par une artiste blanche, ont néanmoins forgé une partie de l’imaginaire collectif quant à cette culture.
À plusieurs égards, l’imaginaire participe à la construction du récit historique et à la perception canadienne vis-à-vis de l’Autre et de Nous-mêmes. C’est, à sa façon, ce qu’affirme l’artiste d’origine autochtone Sonny Assu en s’appuyant sur les propos de l’historienne de l’art Marcia Crosby dans son essai The Construction of the Imaginary Indian (2002). Pour étayer son propos, l’artiste appose l’esthétique traditionnelle de l’Ouest canadien, le formline, à des œuvres du siècle dernier. C’est dans la continuité de sa démarche artistique qu’il personnalise ce système linéaire voué principalement à transcrire certains récits mythologiques. Ses séries iDrum (2008) et Silenced (2011) proposaient également une adaptation de cette pratique traditionnelle par l’utilisation de couleurs vives et de formes nouvelles. Assu poursuit cette transformation en ajoutant une troisième dimension à ces formes ovoïdes habituellement bidimensionnelles. La digitalisation de ces formes appliquées sur des tableaux conventionnels témoigne de l’actualisation continuelle de la culture autochtone. Leur flottement dans l’espace donne quant à lui une allure futuriste qui en prédit la persistance dans le futur.
À ce discours sur la construction identitaire et les stéréotypes s’ajoute un propos bien personnel. Au fait de son historique familial, Assu identifie dans certaines œuvres d’Emily Carr des lieux associés à ses aïeuls. Ainsi, dans What a Great Spot for a Walmart! (2014) qui réfère à Graveyard Entrance, Campbell River (1912), il reconnait le cimetière du village où habitait sa grand-mère. La déconstruction de l’histoire prend ici une tournure intimiste rendant d’autant plus concrets les impacts de la colonisation et des fictions qu’elle engendre. La décolonisation de l’histoire de l’art apparait ici de points de vue individuel et collectif.
Bien que ces propositions séduisent sur le plan visuel, elles ne sont pas moins revendicatrices d’un discours vivement critique sur les enjeux autochtones anciens et contemporains. Le geste est à la fois politique et artistique. Sonny Assu confirme ainsi son engagement tout en approfondissant ses explorations formelles.