Méandre

Du 16 janvier au 27 février 2016
Vernissage : Le samedi 16 janvier de 15h00 à 17h00
Patrick Beaulieu : Méandre

Texte de Paule Mackrous

C’est Pierre Sansot qui écrivait que la lenteur ne signifie pas « l’incapacité d’adopter une cadence plus rapide », mais plutôt la « volonté de ne pas brusquer le temps, de ne pas se laisser bousculer par lui » afin d’« augmenter notre capacité d’accueillir le monde et de ne pas nous oublier en chemin ». Cette posture semble au cœur de la quatrième trajectoire performative de Patrick Beaulieu, qui, à bord d’un Kayak, se rend jusqu’à l’embouchure du fleuve Hudson, à New York. Après la Dodge (Vegas), le Ford Ranger (Ventury) et le camion postal (Vecteur monarque), la petite embarcation de cèdre impose son rythme. Elle expose également davantage le voyageur aux aléas de la nature.

Le point de départ : la source de la rivière Missisquoi, en Estrie. De là, il naviguera un mois, captant ce qu’il appelle les Points de confluence sous forme de vidéos. Ceux-ci représentent moins l’unification de deux cours d’eau que ces lieux où la construction humaine et la nature s’unissent pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c’est l’effet esthétique qui en émerge, la poésie. Au rythme des vaguelettes, du courant et des sons de voitures, l’artiste fait voir la beauté insolite d’une imbrication entre l’autoroute 10 et la rivière. Cette dernière apparait paisible, comme en retrait du monde. Pourtant, elle n’y échappe pas, à ce monde : il la traverse, l’encadre, la reconfigure. Ainsi, on ne saurait omettre de voir aussi le pire, c’est-à-dire, l’étiolement progressif de l’environnement naturel.

Les vidéos témoignent du passage de l’artiste dans des lieux transitoires qui deviennent tout à coup propices à la contemplation, au regard singulier. Elles évoquent aussi l’ancrage des êtres humains sur les rives, par exemple, sur celles de McDonald Creek. Les maisons et les RV défilent sous nos yeux, dans une lumière et un silence qui ressemblent à ceux des petites heures du matin. Le monde est endormi, mais le cours d’eau continue son mouvement vers la mer, tel que nous l’évoque son bruissement incessant.

Le hamac, le brûleur et le bol de gruau sont mis en scène, transfigurant pour la galerie le lieu éphémère du campeur. L’embarcation s’y retrouve aussi. Porter par un mouvement de chavirement perpétuel, elle exprime le danger auquel tout navigateur, même celui qui s’adonne à la lenteur, s’expose irrémédiablement. C’est du moins l’impression que vient renforcer un chaudron rempli de son eau trouble.

Quiconque s’est déjà aventuré sur les eaux pour une longue durée sait que les pagaies ne sont jamais tout à fait silencieuses. Celles de Patrick Beaulieu sont animées d’une voix féminine, à la fois instructive et poétique. Elles peuvent aussi bien indiquer l’imminence de la venue des marées que transmettre des proverbes. Gauche, droite; raison, imagination : la cadence génère un univers hétéroclite dans l’esprit de celui qui manie les pagaies en solitaire, jour après jour.

Méandre comporte plusieurs strates qu’on ne peut découvrir qu’en acceptant une lenteur, celle qui est au cœur de la démarche même de l’artiste. Par cette lenteur, c’est « la vie elle-même comme ondoiement, comme déploiement » qui fait surface.

1. Pierre Sansot (2000), Du bon usage de la lenteur, Paris, Payot, p.12.
2. Ibid, p.14.