Vernissage : Le samedi 15 juillet de 15 h à 17 h
Christine Nobel : Places
Art Mûr, Montreal (QC)
Texte de Bruno Andrus
Toi qui passes et lis cette inscription:
sache que ci-gisent les restes de celui qui regrette
le travail du temps comme le temps du travail.
(Épitaphe, tombe gallo-romaine)
Le présent est par nature insaisissable, évanescent. On tente de le saisir et il est déjà passé. Le présent est un point de tension entre le passé et le futur, un intervalle entre les deux. De même, le passé n’existe pas dans le passé. En soi, le passé n’est plus. Il n’existe que dans le présent, où il se construit progressivement à partir de ce qu’il en reste, des souvenirs, des traces.
La démarche artistique hybride de Christine Nobel, reliant les arts textiles aux arts numériques par le biais de la peinture à l’huile, transcende les disciplines. Il y a dans son travail pictural une part de sublime. Sublime dans le sens où son travail est certes exceptionnel et se distingue par sa qualité. Mais j’invoque ici le sublime davantage dans le sens que l’on attribuerait à la peinture de paysage romantique. En effet, bien que Christine Nobel adopte un langage artistique abstrait, le regardeur peut se perdre indéfiniment dans le tableau, laissant libre cours à des réflexions méditatives, quelque part entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Sublime donc dans le sens de l’expérience d’un sentiment d’inaccessibilité vers l’incommensurable produit par un spectacle d’une extrême amplitude et profondeur.
De par le souci du travail minutieux et bien réalisé et la ritualisation du geste, il y a une dimension artisanale dans la manière dont Nobel aborde la peinture. Ses panneaux évoquent le rendu visuel des trames de tapisseries traditionnelles tissées au métier. Qualifiant son approche de “slow making”, l’artiste mentionne d’ailleurs que sa méthode de travail la laisse amplement disponible pour la réflexion et la contemplation. Afin de créer ses grands tableaux, elle procède par accumulation de petits marquages, des traces minutieuses du pinceau qui, en s’accumulant, forment des séquences, des motifs. En marquant la surface plane par gestes répétitifs, précis et séquencés, elle marque aussi le temps qui passe, celui du travail qui fait apparaître, mais aussi du temps qui fait disparaître. Cette série émane effectivement d’une expérience personnelle qui l’a marquée, celle de la mort d’un être proche. L’acte de peindre lui permet de créer un temps de médiation pour apprendre à apprivoiser l’absence.
Les espaces entre les marquages, présents à chaque intervalle en différents tons, sont particulièrement importants afin de produire la tension vibratoire et visuelle recherchée. Comme l’affirme Nobel de ses images, “loosely textured colours radiate like lights from within the landscapes”1. Elles procurent ainsi une expérience visuelle proche de celle offerte par les écrans lumineux qui peuplent maintenant notre quotidien, ainsi que les arts numériques et électroniques. En confondant dans le présent de l’espace pictural les technologies traditionnelles et futuristes, elle interroge notre rapport à la technologie et par là, au temps et à l’espace. Comme disait Leonard Cohen, un être récemment disparu qui a marqué tant de vies par son art: “There is a crack in everything. That’s how the light gets in”2.
1.Traduction : les touches de couleurs flottantes et texturées évoquent la lumière irradiant d’un paysage.
2. Traduction: Il y a une fêlure dans toute chose. C’est par là qu’y entre la lumière.