Between the notes

Du 4 mai au 22 juin 2019
Vernissage : Le samedi 4 mai 2019 de 15 h à 17 h
Christine Nobel : Between the notes

Texte de Geneviève Marcil

Aussi improbable que cela puisse paraître, c’est par l’invention d’un métier à tisser nouveau genre au début du 19e siècle que Joseph Marie Jacquard ouvre la voie à l’univers numérique dans lequel nous évoluons désormais. À l’aide de cartes perforées, le métier Jacquard peut être programmé pour réaliser différents motifs, un procédé à la base de toute programmation informatique et de tout ordinateur contemporain. L’association historique entre l’industrie textile et le traitement de données resurgit de façon inattendue dans l’œuvre picturale de Christine Nobel. Dans le cadre de l’exposition Between the Notes, l’artiste propose une sélection d’huiles sur panneau bois dont les compositions orthogonales s’inspirent de l’enchevêtrement des trames tissées tout autant que de la toile virtuelle de l’Internet.

Or, tandis que l’ordinateur prototypique de Jacquard rend superflu l’apport de nombre d’ouvriers par l’automatisation du tissage et permet une rapidité de production accrue, Nobel s’impose en gardienne d’une patiente tradition artisanale. Chacun de ses tableaux débute par une première couche rappelant un paysage, qui est progressivement voilée par l’addition méticuleuse de peinture empâtée sous forme de grille (Trace III, 2018). Par ce travail de longue haleine, l’artiste remet en cause l’immédiateté privilégiée dans notre environnement numérique.
En plus des références aux phénomènes topographiques, Nobel conjugue également un intérêt envers la musique. Cette inspiration nouvelle amène les couches de peinture multipliées à s’affranchir de la rigueur perpendiculaire de la trame et insuffle à l’ensemble un rythme inédit où les espaces interstitiels de la composition abstraite sont mis en parallèle avec une succession de notes (Confluence I, 2019). L’intrusion occasionnelle de traits francs horizontaux ou verticaux, non sans rappeler les zips de Barnett Newman, ancre quant à elle la composition à la manière d’une ligne d’horizon (Night vision, 2019).

Dans tous les cas, Nobel exploite la charge polysémique de la grille en tant que représentation d’un espace insondable, immersif et méditatif, appuyé par le format des panneaux et la palette de couleur feutrée. Elle rejoint en cela l’analyse fondatrice de la critique et théoricienne Rosalind Krauss, qui affirme : « Logiquement, la grille est susceptible de s’étendre dans toutes les directions à l’infini. […] Grâce à la grille, l’œuvre d’art se présente comme un simple fragment, comme une petite pièce arbitrairement taillée dans un tissu infiniment plus vaste. »1 Au-delà de chacune des mailles qu’elle tisse, Nobel enjoint le regardeur à lire entre les lignes et à observer les confins du visible.

1. Rosalind Krauss. « Grilles ». Dans L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes. Traduction de Jean-Pierre Criqui. Macula : Paris, 1993/1979, p. 102.