Vernissage : Le samedi 9 mars 2024 de 15h à 17h
Karin Jones : The Golden Section
D’ornements et de cheveux : revisiter les récits de l’identité par le détournement
Texte de Galadriel Avon
L’artiste Karin Jones déploie à travers sa pratique un vocabulaire sculptural et installatif riche : issue du milieu de la joaillerie, elle implique dans ses corpus des matières et matériaux propres à cet univers et puise dans ceux d’autres des éléments qui étoffent ses propositions. Au cœur de ses travaux se déclinent autant de tissus, de perles, de dentelles et d’ornements qui peu à peu reconstituent des pans de l’histoire de la bijouterie et du parement. C’est que la démarche de l’artiste n’a rien d’aléatoire : par la reproduction d’objets à forte charge symbolique comme les colliers d’une époque particulière ou les habits de la reine Victoria, elle convie les codes qui informent depuis des décennies, voire des siècles, nos modèles vestimentaires et nos frivolités, afin de questionner par leur entremise les contextes et narratifs historiques de nos récits identitaires actuels.
L’utilisation de cheveux, spécifiquement blonds, constitue depuis quelque temps une habitude dans la démarche plastique et conceptuelle de Jones. Dans cette matière inusitée, l’artiste retrouve une inépuisable consistance sémantique : ces mèches témoignent d’un standard racial de beauté et de pureté qui découle de l’Europe et de l’esprit expansionniste de colonisation qui l’habitait – l’habite encore? – jusqu’à tout récemment. En démantelant et détournant ce motif symbolisant un idéal de beauté typiquement blanc, Jones œuvre à mettre en évidence les retranchements les plus privés dans lesquels se recoupent encore des modèles coloniaux ou assimilatoires. Elle suppose à partir même de la simple utilisation de cette matière qu’un renversement peut, doit, être possible — tout en rencontrant dans la résistance même du traitement de ces cheveux des retentissantes conclusions qui avalisent qu’un changement de paradigme est nécessaire, mais difficile.
Si les projections symboliques de ces mèches sont infinies, c’est surtout grâce au métissage de techniques et de matériaux dont la pratique de Jones fait montre. En effet, il lui arrive de coupler ces cheveux avec les Kanekalon – ces fibres destinées à la réalisation de tresses, que l’on retrouve le plus souvent dans les cultures africaines. Ce croisement imbrique des narratifs distincts et fait cohabiter ce qui, naturellement, s’oppose. Alors, Jones pointe dans le visible l’invisible : elle parle de toutes ces cultures qui ont été occultées dans le traçage de ces canons et standards dont l’importance est désormais intriquée dans l’histoire, laissant peu de place à l’émergence d’autres modèles de récits identitaires. Ses œuvres conduisent à penser que si les idéaux demeurent résolument blancs, une invitation voire pression à s’y conformer reste toujours perceptible au sein d’autres cultures, alors même que l’impossibilité de s’y voir accepté·e et inclus·e surplombe cette dynamique.