Samuel Nnorom : Points de départ
Texte de Dounia Bouzidi
Artiste émergent de la scène artistique nigériane, Samuel Nnorom présente pour la première fois son travail à la galerie Art Mûr. Ses œuvres, entre installations, tableaux et sculptures, nous plongent dans un univers qui retrace les complexités de l’émigration. Points de départ est une exposition qui réunit les cœurs exilés dans un élan de solidarité.
L’œuvre de Nnorom est marquée par l’utilisation des tissus imprimés africains, communément appelés wax ou Ankara. Ces tissus représentatifs de l’Afrique de l’Ouest, sont caractérisés par leur couleurs éclatantes et par leurs motifs aux symboliques fortes. La particularité de ce textile réside aussi dans sa fabrication ; inspirés du batik indonésien, les imprimés africains utilisent de la cire pour définir le motif en négatif. Ce tissu, s’il est aujourd’hui très populaire, est à l’origine réservé aux notables. Il est très cher et les motifs eux-mêmes sont évocateurs du statut social de la personne qui le porte.
L’utilisation de l’Ankara dans le travail de Nnorom porte un message politique et social fondamental pour comprendre l’ensemble de son œuvre. Si le tissu est maintenant un symbole des cultures d’Afrique de l’Ouest, son histoire est concomitante avec celle de la colonisation du continent et reste un symbole du monopole économique des européens en Afrique. En effet, le wax est importé par les anglais et les hollandais en Afrique et conquiert rapidement le marché Ouest africain avec des productions de masse jusqu’à asphyxier les productions locales et traditionnelles. Après avoir arraché leurs indépendances aux empires européens, la fabrication du textile devient un véritable enjeu économique et diplomatique pour les pays d’Afrique de l’Ouest.
C’est dans un élan de retournement du stigmate que Nnorom s’approprie le textile comme médium : il affirme par là son appartenance et sa fierté de la société nigériane. L’artiste nous amène à réfléchir aux notions d’héritage et de transmission à travers l’histoire des tissus. Par des formations organiques – semblables à des ruches – Nnorom représente la complexité du corps social, politique et économique. Il donne à voir les systèmes et les individualités prisent dans ces derniers. Refusant les interprétations binaires et simplistes du monde, le travail de Nnorom se situe à la lisière entre la communion et la séparation.
Points de départ est alors une réflexion sur la migration qui représente un point de rupture douloureux pour la plupart des émigrants du Sud global. Mais le déplacement est aussi un horizon et un chemin qui provoque l’entraide entre les personnes. À l’image de son médium, Nnorom reprend le contrôle du discours et sublime les plaies liées à l’histoire des impérialismes.