Vernissage : Le samedi 11 septembre 2021 de 14 h à 17 h
Monde Bossale
Af-Flux – Biennale transnationale noire
Artistes : Anthony Akinbola, Cécilia Bracmort, Esther Calixte-Béa, Jeanette Ehlers, Shanequa Gay, Amartey Golding, Marie José Gustave, Jérôme Havre, Masimba Hwati, Sharon Norwood, Marielle Plaisir, Michaëlle Sergile, Nyugen E. Smith, Shanna Strauss, Philippe Thomarel
Commissaire : Eddy Firmin
www.affluxbiennale.org
Texte d’Eddy Firmin
Cet automne, au Québec et plus particulièrement sur le territoire autochtone non cédé de Tiohtià:ke/Montréal, a lieu la première d’Af-flux, Biennale Transnationale Noire. Cette invitation au dialogue est lancée depuis l’un des centres urbains les plus cosmopolites et polyglottes au monde. Dans cette ville québécoise, plus d’un habitant sur trois est un immigrant, les minorités visibles représentent un tiers de sa population et une personne sur dix est noire.
En parfaite adéquation avec son lieu, cette biennale s’interroge sur l’apport des multiples communautés noires au débat de l’art contemporain. Sollicitées de manière ponctuelle ou individuelle, ces voix souvent instrumentalisées ont aujourd’hui leur biennale. Néanmoins, dans un monde globalisé poussant au repli identitaire, user des mots « noire » et « transnationale » pour qualifier un événement, est autant un acte de défiance que d’ouverture.
Près d’un siècle après le mouvement de la « négritude » qu’Aimée Césaire définissait comme « la simple reconnaissance du fait d’être noir », aujourd’hui encore, utiliser le mot « Noir » dès le frontispice fait ressurgir une forme d’inconfort. En effet, il traduit de manière immédiate la complexité de l’histoire ainsi que la persistance des préjugés.
Cependant, être « noir » ne saurait désigner une identité, une communauté, une diaspora précise et encore moins une culture. Le corps noir participe d’une des premières expériences transnationales de notre monde globalisé ; ce que W.E.B. Du Bois appelle la « double conscience » et que Walter Mignolo nomme le « Im-migrant » (en traduisant le « je-suis-migrant ») ; c’est-à-dire des “je” qui se définissent par le passage d’un monde à l’autre et non par rapport au seul territoire de naissance. Ainsi il se construit, hors de l’Afrique, sur les différents sols d’Occident, des expériences singulières et riches. Af-flux Biennale Transnationale Noire, souhaite ainsi relier ces expériences et ces héritages qui partout en Occident s’éveillent.
1ère édition : Monde Bossale
Quel que soit son lieu de départ ou d’arrivée, le passeur des mondes porte en lui un matériel émotionnel et culturel qui filtre ses perceptions de l’après-frontière. Ce matériel affecte simultanément la manière dont il se perçoit et la manière dont il est perçu. En retour, le passeur ensemence sa terre d’accueil d’un imaginaire culturel exogène et permet de repenser ou réinventer les identités locales. Conséquemment, le bossale participe de cette figure fertilisatrice du passeur au fondement de notre monde globalisé. Il est l’esclave né en Afrique, marchandise déshumanisée du commerce négrier, outil de production surexploité, tentant de se retisser une humanité, une identité.
Si le bossale est un rouage historique important dans la surexploitation du corps des plus fragiles socialement, il pose aussi la question des identités transnationales inhérentes à notre monde actuel. En effet, dès ses premiers soubresauts, le bossale, par conséquent le corps noir, désigne la figure du sans sol qui n’est nulle part chez lui ; en contraste avec le capitaine d’industrie qui prend possession des territoires à exploiter. Le bossale participe des premières identités transnationales modernes qui se définissent lors du passage. Ils portent avec eux la double mémoire d’un ailleurs et d’un ici, la double conscience de la complexité des mondes. Les bossales contemporains font face à des monocultures identitaires (nationale, culturelle, géographique) encore porteuses d’identité-barrière guidée par le model assimilationniste et son “ bien/ou bien“. Leurs résistances participent alors à maintenir de la plasticité dans des constructions identitaires et culturelles portées à l’effacement de la différence plutôt qu’à son respect.
Chacun des artistes de cet événement questionne cette part d’identité transnationale qui ne fait pas le choix de la soustraction d’une identité, mais de l’addition (et/et). Comment les descendants directs et indirects du bossale, les artistes afro-américains et les Afro-Européens, articulent-ils le monde ? Quel type de dialogue décolonial naît de la rencontre des artistes afrodescendants et africains d’ici et d’ailleurs ? Comment ces artistes investissent-ils le champ de l’art contemporain ? Quelles sont leurs radicalités (racines) ?