La mémoire et le temps

Du 11 novembre au 18 décembre 2021
Vernissage : Le jeudi 11 novembre 2021 de 17 h à 19 h
La mémoire et le temps : Sonny Assu, Lucie Bitunjac, Renato Garza Cervera, Jannick Deslauriers, Louis-Charles Dionne, Jessica Houston, Kando
Laïla Mestari, Elycia SFA, Jinny Yu
Commissaire : Noémie Chevalier

Texte de Noémie Chevalier

Un.e artiste représente et revisite le souvenir sur différents supports. Dès lors, chaque œuvre sélectionnée pour cette exposition est garante de traces, soit une survivance dans la mémoire d’une sensation, d’une impression, d’une idée et d’un événement vécu. Cela introduit aussi des questions relatives au temps, à la temporalité et à l’organisation du visible.

Tout particulièrement, la structure architecturale grandeur réelle de Jannick Deslauriers intitulée Fantôme de l’Hôtel Queen est la reproduction à partir d’images d’archives, de la façade d’un édifice historique de Montréal détruit au moment de la modernisation des infrastructures du centre-ville. Selon Deslauriers, la représentation évanescente d’édifices permet d’évoquer l’Histoire, mais aussi la survivance. L’architecture reflète ici l’existence, elle est une trace tangible du passé. Également, l’artiste Elycia SFA a réalisé des images de son quotidien lors du confinement lié à la pandémie de Covid-19. Grâce à son métier à tisser, elle a produit la série intitulée Home Life / Still Life. Tout comme Jannick Deslauriers, le textile d’Elycia SFA devient une archive matérielle de représentation de la mémoire. Pareillement, Louis-Charles Dionne avec sa Chemise manille de format légal apparaît comme un hybride entre la chemise légale et la tablette de pierre, combinant ainsi une forme ancienne et contemporaine d’un document officiel. Cette installation questionne ainsi ce qui est archivé, donc laissé derrière nous.

Sonny Assu dans sa série Landlines témoigne d’une nostalgie personnelle à travers des cartographies maritimes qu’il a conservées de son grand-père. En faisant ainsi toute la place à l’eau et en déconstruisant le territoire, l’artiste questionne l’invasion sur les terres autochtones et le déplacement de plusieurs générations sur le territoire canadien. Que ce soit à travers les dessins ou les tambours peints, il est engagé à restituer le récit qu’il reste de ses ancêtres, afin de conserver la mémoire de sa communauté Ligwilda’xw / Kwakwaka’wakw de la nation We Wai Kai, en Colombie-Britannique. Dans Mareas Humanas, Renato Garza Cervera explore l’idée du « moi » et des « autres »
par la seule représentation de l’élément: i. Ces compositions ne sont pas sans rappeler la géopolitique des migrations, nous plongeant encore et toujours dans cette perpétuelle crise des frontières.

Jessica Houston, dans sa toute récente production, a demandé la contribution de plusieurs auteurs à adresser des lettres au futur. Ces dernières ont été enterrées dans un glacier de l’Antarctique pour provoquer une réflexion sur notre présent et les possibilités de notre avenir. La photographie Letters to the Future – Antarctica, 3019, anticipe les circonstances de cette découverte dans 1000 ans. De même que la mémoire est un socle de construction, le passé tient aussi de l’ordre du fantasme. Avec son Codex, Lucie Bitunjac réinvente à la manière des grands maîtres de l’histoire de l’art, ce recueil de dessins et de notes. Dans ses œuvres, l’artiste développe une forme d’utopie tout en tendant aussi à nous plonger dans un univers dystopique.

Enfin, les œuvres des trois artistes Kando, Laïla Mestari et Jinny Yu proposent un dialogue constant sur l’exploration de l’hybridité identitaire et l’examen d’être divisé.e entre deux mondes. Dans Monama, Kando réinterprète l’iconographie chrétienne brossant ainsi le portrait en pied d’une femme noire, accompagnée de plusieurs enfants. Kando a été élevé en République démocratique du Congo, en grandissant dans une famille patriarcale polygame. C’est pourquoi, il interroge à travers ses œuvres la corrélation entre les rapports maternels, le rôle déterminant de la transmission et les inégalités de genre. Laïla Mestari, quant à elle, a quitté le Maroc dès l’enfance et dans sa vidéo Comet Families, elle représente la notion de mémoire intergénérationnelle à l’intérieur de son processus d’immigration familiale. Pour sa part, Jinny Yu est née en Corée du Sud et vit au Canada. Elle considère l’acte de peindre comme un moyen de comprendre sa position dans le monde. Ses recherches l’ont amenée à essayer de réfléchir à ce que signifie pour elle le fait de vivre en tant que colon récent sur une terre autochtone et à s’interroger sur le sentiment d’appartenance.

La mémoire est une notion fondamentale dans le champ des arts visuels. Situation d’un événement mis en scène par l’artiste ou une reconstitution d’un souvenir, l’œuvre devient alors un nouveau sujet d’investigation.