Texte de Yann Pocreau
Le travail de Melissa Doherty oblige à scruter le paysage, à le surveiller, du moins, il pointe les perceptions que l’on a de celui-ci. Les peintures qu’elle présente pour son exposition Vignette, toutes carrées ou presque, donnent à voir des territoires organisés autour d’une nature largement dominante dans laquelle s’alignent et s’insèrent des routes et des constructions habitables. On aborde ces paysages vus d’au-dessus, dans un axe quasi parfait faisant disparaître les volumes du paysage aux profits d’une géométrie de toitures et de l’étrange prégnance des verts qui s’étendent dans la composition. Isolées sur un fond blanc, d’huile et de brossés, ces zones organisées s’affirment comme une prise de position sur nos expectations et interventions sur la nature et sur la structuration du territoire. On a affaire ici à une topographie sociale, qui, par son point de vue aérien, ne va pas sans rappeler la question plus qu’actuelle de la surveillance et de l’appropriation du territoire. Le célèbre urbaniste américain Kevin A. Lynch, abordait l’organisation du paysage comme un affectant radical sur les comportements humains, à savoir comment l’organisation des informations spatiales qui nous entourent modifient notre perception des espaces, notre façon de les habiter, de les concevoir.
Melissa Doherty se penche dans ses peintures sur cette modification sinon sur cette manipulation de la nature. Elle s’intéresse à l’artifice d’un paysage architecturé. Ces appréhensions du paysage sont pour elle davantage un travail de maquette ou encore de nature morte. La vue est statique, le sujet saisi sous la couche de couleurs habilement couchée sur la toile, un plan propice à l’observation attentive du territoire, à sa structuration, mais aussi à sa prise en charge par l’homme, à son immunisation. Ainsi pour l’artiste, cette vision alternative du paysage évoque aussi un aspect sensuel de la matière qu’elle retrouve dans ces bosquets que l’on voudrait toucher du bout des doigts comme l’on caresse un rare tissu ou une précieuse étoffe.
Malgré la distance qu’impose le point de vue et la restructuration intransigeante que semble subir cette nature, ces paysages ont quelque chose de « très tactile et de réconfortant ». L’huile qui les porte rend la ligne à la fois précise et incertaine, à la fois déterminée et détournée par la toile qui entre ses mailles les absorbe. On pourrait croire à une peinture hyperréaliste subissant les effets d’un léger flou photographique se laissant envisager dans un registre de couleurs assourdi par l’épaisseur atmosphérique et par celle de la délicate subjectivité du regard qui se pose, sur et dans le feuillage de ces arbres, à la surface et à dans les replis de la représentation.