Vous m’offrez la cité, je préfère les bois ;
Car je trouve, voyant les hommes que vous êtes,
Plus de cœur aux rochers, moins de bêtise aux bêtes.
-Victor Hugo, Falkenfels-
Formé en art et en architecture, Melvin Charney (1935-) porte un regard sévère, voire désabusé, envers la société. Il s’est créé un système iconographique qu’il utilise dans ses œuvres multi et interdisciplinaires pour critiquer et exposer les dynamiques sociétales. Reconnu internationalement en tant qu’artiste et théoricien de l’architecture, il représenta le Canada à la Biennale d’art de Venise en 1986 puis en 2000 pour celle d’architecture. L’œuvre qu’il avait présentée lors de cette dernière exposition utilisait pour symbole l’architecture bâtie, la construction. Ainsi, Charney ne considère pas à travers son œuvre le bâtiment pour ce qu’il donne à voir, mais en tant qu’élément représentatif d’une société, un produit de l’homme qui évoque une époque, une activité et des rapports humains.
Les assemblages photographiques à sujet architectural de Charney exposent des lieux historiquement lourds afin d’en exacerber les qualités mémorielles : le bâtiment devient relique. Que ce soit afin de remémorer les circonstances du développement urbain de Tel-Aviv ou les récits derrière les infrastructures de l’Holocauste, Charney dégage le potentiel narratif de ces constructions, de ces ruines qu’il utilise pour exposer et critiquer l’aliénation urbaine. La juxtaposition et la superposition des images agissent comme admoniteur, indiquant au spectateur qu’il y a plus à y voir que l’appréciation plastique de la prise de vue. Les bordures des photographies non recadrées participe au fractionnement du sujet et perturbe également toute possibilité de contemplation, en rappelant au public qu’il est en présence d’une construction.
Charney, dans ses montages paysagers, use des mêmes procédés. Il n’oppose pas les sujets Architecture/Nature dans ses propositions, considérant le paysage, tout comme le patrimoine bâti, comme symbole à connotation narrative : « Un paysage est aussi une idée, […] un ensemble de propositions culturelles, une construction… » Les géants/constructions qu’on peut retrouver à répétitions dans sa pratique architecturale et dessinée sont ici remplacés par la figure de l’arbre, que Charney utilise pour critiquer la société: « Les [anciens] manuels pédagogiques [illustraient souvent] une allégorie montrant le traitement imposé aux garçons [dissipés]. Un jeune arbre crochu est fermement attaché à une tige épaisse et droite – un tuteur – de sorte que l’arbre poussera droitement […]. » Effectivement, ce processus d’éducation par l’allégorie ne serait-il pas le meilleur moyen pour amener l’élève à réfléchir et, idéalement, l’influencer à corriger son comportement ?
1. Melvin Charney, «Les photographies assemblées », Melvin Charney, Montréal : Musée d’art contemporain de Montréal, 2002, p. 76.
2. Ibid, p. 79.