Le vertige de l’organe à habiter sur le vide. Les petites Architactrices

3 mars – 7 avril 2012
Les espaces sans réponse
Texte de Daniel Canty

Une toile délimite un espace dans l’espace. Au fond des yeux, qui sont des extensions du cerveau, la pensée creuse. À tout moment, nous avons en tête au moins deux façons de sortir de nous-mêmes, ou à peu près. La petite architactrice d’en haut le sait. Elle sait aussi qu’elle vit perchée au cœur de son système nerveux, et que le geste de peindre peut reconduire la conscience aux extrémités, et prolonger la pensée, cet écho du corps et des espaces qui l’habitent.

Pour répondre aux questions sans issue qui l’intéressent, l’architactrice a cru bon de s’inventer un nom. Je crois qu’il s’applique autant à elle qu’à ses toiles. Après tout, qui saurait vraiment dire où finissent les espaces qui nous entourent, et où commencent nos corps? Dans la blancheur ou la noirceur spacieuse de ses tableaux, l’architactrice suspend, en guise de réponses, de vertigineux mobiles architecturaux. En nos esprits imparfaits, ces anti-couleurs semblent un avatar du néant, et ces mobiles, des versions de lieux quotidiens, vidés de notre présence, retournés sur eux-mêmes. Aux points de contact des espaces et du vide, lignes et surfaces gagnent en transparence. L’architecture est soumise à des mouvements contradictoires, et existe en équilibre instable : elle semble surgir du vide, mais pourrait aussi bien être en train de s’y dissoudre. Sa solidité apparaît comme un état transitoire, sa géométrie, comme une proposition fuyante — elle rayonne à tous ses Points de suspension, conjuguant la fixité d’un pan de mur avec la volonté de bouger.

Les lieux des tableaux, malgré leur impossibilité physique, sont percés de jours, de portes et de seuils inaccessibles. De toute évidence, celui qui voudrait y pénétrer devrait accepter de voir les limites de son propre corps être redessinées. Le vide en appelle donc, inévitablement, à une notion complémentaire : l’obscurité des organes. Ces formes orangées, charnelles, qui se profilent parfois aux abords, semblent les éléments d’une gestation, d’une émergence, interrompue ou à venir. À la limite du vide, quelque être inédit s’approche, se profile sans se résoudre à prendre corps. Cette incertitude traduit Le vertige de l’organe à habiter sur le vide.

Les tableaux communiquent le sentiment d’un espace vécu, et on est en droit de se demander, devant leur radiante solitude, quelle part de ce sentiment n’appartient qu’à l’espace, et quelle part à nos corps en lui. On voudrait immédiatement répondre, « aucune », mais les questions sans réponse en appellent à d’urgentes reformulations. Qu’est-ce que ressent un espace sans personne? C’est encore une question posée par quelqu’un. À nous d’avancer de nouveau vers ces formes mouvantes qui nous relient au corps des choses, et nous préservent de la pensée du vide.