Moats, Ropes and Revisions

Douves, cordes et révisions
Texte de Katrie Chagnon

L’art paysager de Judith Berry met en œuvre ce qu’Anne Cauquelin a nommé « le jardin des métamorphoses ». Selon la philosophe, l’invention du paysage comme notion et comme cadre de représentation passe par une sphère de transformations créatrices où la nature sauvage et enchantée se change en paysage civilisé . Parcs et jardins de la Renaissance ou environnements architecturés modernes ne sont que des exemples de cet ordre imposé à la nature, un ordre qui, par ailleurs, n’est jamais pleinement maîtrisé, la nature conservant toujours une part d’obscurité, de mystère et de désordre. C’est cet état précaire et transitoire du monde organique « cultivé » que nous donnent à voir les tableaux de Berry. Ceux-ci forment autant d’espaces improbables où motifs végétaux et constructions architectoniques s’agencent librement, créant chez le regardeur un sentiment mélangé de ludisme et d’angoisse.

Héritière de l’esthétique des jardins et de la tradition du paysage, cette peinture renoue également avec le style fantastique issu du Moyen Âge. L’univers des contes et des bestiaires, l’imaginaire démesuré d’un Jérôme Bosch ainsi que les fabulations surréalistes modernes s’y retrouvent, quoique dans des lieux dépouillés de toute présence humaine ou animale. Jusqu’à récemment, l’artiste peuplait ses images de silhouettes végétales anthropomorphes, produites au moyen de parcelles d’herbes agglutinées. Dans sa nouvelle production, celles-ci disparaissent au profit d’une nature plus abstraite, qui conserve néanmoins toute sa dimension narrative. Composées de tas de brindilles, de cordons multicolores, de blocs géométriques et de structures verdoyantes, les forêts labyrinthiques et les cités désertiques de certains tableaux présentent une iconographie dérivée des jeux de société et d’ordinateur, alors que d’autres ressemblent à de petites maquettes, façonnées à partir d’objets du quotidien. Les rapports d’échelles variables et le schématisme ambigu des éléments représentés – entre le monument et l’objet, le bâtiment et le jouet – laissent le champ ouvert à de multiples configurations.

D’ailleurs, l’œil qui s’aventure dans ce monde sait qu’il ne peut qu’en sortir désorienté. Chaque tableau constitue en effet un nœud visuel complexe, duquel se dégage une tension entre l’aspect très construit des surfaces et une impression de chaos. Comme l’explique Berry, au-delà de leur innocence apparente, ces paysages peuvent référer à des événements politiques ou à des catastrophes naturelles : « Ce sont des surfaces qui portent le poids de l’interférence humaine et évoluent hors de notre contrôle. » Une virtualité que les œuvres récentes ne font qu’accentuer, alors que l’artiste nous dépeint une réalité envahie par d’étranges résidus colorés. À l’éventail de sens que nous propose Berry semble alors s’ajouter la question écologique actuelle, au cœur de laquelle se joue une transformation radicale des rapports nature/culture qui animent la recherche de l’artiste depuis ses débuts.