Why does its lock fit my key?

Du 3 novembre au 20 décembre 2018
Vernissage : Le samedi 3 novembre 2018 de 15 h à 17 h
Finissage : Le jeudi 20 décembre de 17 h à 19 h
Jinny Yu : Why does its lock fit my key?
Art Mûr, Montréal (QC)

Texte d’Anaïs Castro
Translated by Rosalie Tellier

Le développement de la pratique artistique de Jinny Yu a suivi une trajectoire d’exploration des plus personnelles. Née en Corée du Sud et ayant grandi au Canada, Yu perçoit l’action de peindre comme un dispositif l’aidant à se situer dans le monde. Cette recherche a débuté par l’examen de sa posture partagée entre deux mondes : celui de l’est et de l’ouest – étant incapable d’attribuer le statut de chez-soi ni à l’un ni à l’autre. De cette piste d’exploration ont surgi des corpus d’œuvres tels que Me(n)tal Perspectives (2004-2005) et Story of a Global Nomad (2007-2008). De surcroit, Yu a vécu dans de nombreuses villes autour du monde, s’installant de manière temporaire à New York, Seoul, Montréal, Berlin et Venise pour n’en nommer que quelques-unes. De ce nomadisme est née une compréhension plus complexe du monde dans lequel une multitude d’est et d’ouest coexistent. Dès lors, ce nouvel entendement s’est transposé dans sa manière d’entrevoir l’étendue de la surface de représentation. Dans sa pratique, ce changement s’est traduit par un détachement graduel du plan à deux dimensions vers les complexités de la tridimensionnalité.

Au cours de la dernière décennie, le travail de Jinny Yu s’est déployé en correspondance à ses préoccupations spatiales – comment habiter l’espace physique tout comme la surface de représentation. Ayant recours à des matériaux réfléchissants qu’elle plie, froisse et peint, elle permet aux conditions changeantes du lieu d’exposition de devenir actrices à part entière dans le rendu final de l’œuvre. Néanmoins, Yu demeure le point focal de son processus de création; elle aperçoit son reflet alors qu’elle manipule les objets miroitants, mais choisit de laisser son image éphémère, transitoire, analogue à sa manière d’occuper le territoire. En un sens, elle témoigne de la fragilité de l’existence – tel qu’évoquée par l’accord précaire de l’encre coréenne vaporisée sur aluminium dans Black Matter. Les œuvres de About Painting (2010) et Non-Painting Painting (2012) sont en quelque sorte des autoportraits parce qu’elles témoignent de l’étude existentielle et introspective des dynamiques spatiales sur la manière dont un individu affecte et est affecté par son environnement.

Pour l’artiste, le sentiment d’appartenance associé à un lieu précis demeure un concept abstrait sans attache à un lieu géographique défini. C’est plutôt au travers d’une mobilité et d’une constante délocalisation que cette idée d’encrage s’est vue attribuer un sens, et la peinture fut précisément l’outil de prédilection tout au long de cette exploration. Ainsi, au cours des trois dernières années, la perspective de Jinny Yu sur son propre nomadisme s’est vue modifiée. En 2015, elle a produit une œuvre d’envergure intitulée Don’t They Ever Stop Migrating? (2015), laquelle lui à fait prendre conscience que le sentiment d’être étranger partout est en fait une posture intéressante dans ce monde, particulièrement en cette période où le nationalisme et les mouvements anti-immigration s’intensifient. Plutôt, l’impression d’être autre a fait naître une sensibilité face à la diversité, a fait croître ses opportunités de ressentir de la compassion et a permis d’inclure un plus grand nombre de perspectives concomitantes à son univers. Alors que la polémique autour des mouvements migratoires s’amplifiera probablement au cours des années à venir, le regard de Jinny Yu est non seulement pertinent aux contextes présent et futur, mais s’inscrit dans une démarche critique d’une importance capitale.