About Painting

Du 2 septembre au 23 oct 2010

Texte de Paule Mackrous

Originaire de Séoul, en Corée du Nord, Jinny Yu possède un MFA et MBA de l’Université York et de la Schulich School of Business de l’Université York ainsi qu’un BFA de l’Université Concordia. Ayant exposé largement en Amérique du Nord, en Europe et en Asie, l’artiste dit de son travail artistique qu’il résulte d’un regard nomade sur le monde. Ce nomadisme, elle l’explore ici à travers des tracés picturaux oscillant entre l’indice et l’icône, la trace et la figure.

Les huiles et graphites sur aluminium de Jinny Yu créent une illusion de type trompe-l’œil. Le spectateur, dont la perception est défiée par la réversibilité de la trace picturale et du fond, entrevoit comme un renflement dans la matérialité de l’œuvre. De cet espace liminal surgit la figure fantomatique de ce qui s’apparente à un livre ou à une page. Une « ressemblance par contact 1» devrions-nous dire, car si les contours figuraux sont peu définis, c’est l’empreinte qui semble avoir déterminé la forme aléatoire du codex qui tente en vain de s’achever. Ce caractère d’esquisse rappelle les oeuvres d’un Rothko dont on dit qu’il atteint, par un brouillage des contours, une dimension spirituelle sensible.

Des feuilles éparses qui s’envolent au gré du vent (Verba Volant, 2009) dans un espace sans perspective, fragiles tels des coups de pinceau improvisés, semblent insaisissables pour le regard. Par cette précarité de la forme peinte, l’artiste rend notre œil migrateur, car même si les oeuvres picturales sont fixes, pour reprendre les mots d’Adorno, elles peuvent être «vivantes en tant qu’elles parlent d’une manière qui est refusée aux objets naturels et aux sujets qui les produisent 2». Mais quelle histoire est en train de s’étioler dans les semblants de pages qui virevoltent au ras du sol d’un espace à peine perceptible? Jinny Yu, nomade, nous raconte le va-et-vient constant, et tellement polémique pour l’histoire de l’art, de l’abstraction et de la figuration.

Certaines de ces pages ont pénétré entièrement notre monde. L’une, chiffonnée, repose entre la fragilité de ce qu’elle représente et la durabilité de son matériau. Il s’agit d’une page noire, sur laquelle rien n’est inscrit si ce n’est que l’indice du mouvement de la main qui la froisse. L’autre, de forme allongée, se tient là, debout, prête à quitter le mur.

Dans cette exposition, Jinny Yu montre que ce n’est pas nécessairement « l’invisibilité de la surface-support 3» qui « permet la visibilité du monde représenté », mais plutôt sa perceptibilité momentanée, éphémère et instable. Ce bouleversement subtil, mais incessant de la perception permet l’apparition et le saisissement d’une figure. Car c’est dans la précarité que le mouvement figural, la brise imaginaire permettant de « fixer les images de la vie animée de mouvement 4», est repérable.

 

1. Georges Didi-Huberman, La ressemblance par contact, Paris, Minuit, 2008.
2. Theodore W. Adorno, Théorie esthétique, Paris, Klincksieck, 1974, p.20.
3. Louis Marin, De la représentation. Paris, Seuil, 1994, p.305.
4. Idem.
5. Aby Warburg, Essais florentins, Paris, Klincksieck, 1990, p.90.