Vernissage : Le samedi 6 mai de 15 h à 17 h
Jessica Houston : This Mountain
Art Mûr, Montréal (QC)
Texte de Geneviève Marcil
Issue d’un séjour sur l’île de Baffin, la série This Mountain poursuit les réflexions de l’artiste new-yorkaise Jessica Houston quant à l’Arctique canadien et à la couleur (Horizon Felt, présenté en 2015 à Art Mûr, et I Colori di Corigliano, 2010). Dans cette exposition, l’artiste s’oppose à la conception idéalisée du Nord immaculé et la confronte à un environnement habité changeant au rythme du développement de l’industrie minière dans la région.
L’effet simultané de l’intervention humaine et des forces de la nature sur le paysage arctique est matérialisé sur la surface de panneaux de bois soumis aux actions répétées de l’artiste. Cette dernière perce, brûle et grave la surface des œuvres, laissant à l’issu de ce processus ardu des marques évoquant aussi bien la répétition et le rythme des compositions picturales minimalistes (Break, 2017) que les toiles lacérées de Lucio Fontana (Scorch, 2017).
Dans ses impressions, Houston emploie la technique du chine-collé pour fusionner des photographies de l’île de Baffin et des bouts de papier de riz colorés. S’inspirant dans un premier temps de la forme ovale du collage précurseur Nature morte à la chaise cannée (1912) de Picasso, les aplats de couleur servent d’arrière-plan ou sont superposés aux paysages du Nord fantasmé. Ainsi l’artiste interroge les conditions de visibilité et de représentation et invite le spectateur à reconstituer l’image éclipsée dans son esprit.
Houston présente dans un deuxième temps des compositions où couleurs et images — alliant scènes modestes et majestueuses — sont cette fois contenues dans des cercles juxtaposés. La couleur, extraite de l’image à la manière du minerai extrait de la montagne, fait ressortir la beauté formelle parfois inusitée des sujets photographiés. Dans Sovereign Aspirations (2017) l’aplat de couleur accentue ainsi les délicates teintes d’orangé qui jaillissent de la photographie d’une maison délabrée, tandis que son titre rappelle le statut disputé du territoire arctique. Or, à la différence des compositions all-over sur panneaux de bois et des impressions superposées, le regard du spectateur est ici partagé entre les deux cercles distincts. Houston exploite en cela le phénomène optique de la convergence binoculaire, qui permet la formation d’une seule image à partir des deux yeux. Il s’agit pour l’artiste de révéler le processus au cœur de toute perception visuelle et de faire dialoguer le chevauchement réel et perçu des images au sein de sa série d’impressions.
En ce sens, This Mountain synthétise les approches concrète et conceptuelle pour appréhender les phénomènes de perception. De même, les dichotomies entre le matériel et l’intangible, ainsi que le naturel et le culturel, se retrouvent dans ce morceau de minerai de fer à partir duquel un haut-parleur dissimulé émet une chanson interprétée par Deanna Panipakoocho et des témoignages oraux glanés auprès des habitants de l’île. Houston parvient à abstraire les complexes questions environnementales, territoriales et sociales qui s’entrecroisent dans l’Arctique canadien pour les reconstituer au sein d’un discours qui se déploie en autant de nuances que les couleurs éclatantes de ses œuvres.