Horizon Felt

Texte de Paule Mackrous

D’innombrables recherches scientifiques sur la fonte des glaciers nous parviennent de partout1, les études s’intéressant aux peuples nordiques sont de plus en plus nombreuses2: jamais n’avons-nous eu autant d’information pour comprendre le Nord Canadien et ses enjeux! Malgré cela, remarque l’artiste multidisciplinaire Jessica Houston, l’image du Grand Nord comme un vaste espace anhistorique et inhabité persiste.

Lors d’un voyage suivant les traces de l’explorateur John Franklin 3, Houston entame la création de ce qui deviendra l’exposition Horizon Felt. Celle-ci rassemble des photographies, des toiles abstraites et des sculptures qui rompent avec cette idée du Grand Nord comme un espace neutre. Chacune des œuvres réaffirme, à sa manière, que ce Nord possède des histoires, des géographies, des cultures singulières.

Munie d’un appareil photo et de feuilles de feutre qu’elle dispose devant l’objectif, l’artiste saisit les paysages et les architectures de Campbridge Bay, Fort Ross, Beechy Island, Baffin Island, pour ne nommer que quelques endroits visités. Le regard est orienté par ces horizons artificiels au cœur de l’image. Les couleurs voilent une portion du paysage pour mieux faire jaillir un aspect précis de celui-ci. Ainsi, des maisons résidentielles d’Iqaluit détonnent sur un vert menthe (The Place Of Many Fish (Iqaluit)), alors qu’un imposant glacier semble se noyer dans une mer rouge (Crossing The Line). Ici, l’effet est percutant : la couleur éveillant à la fois la sensation de chaleur et le sentiment du danger.

Disposés entre les photographies, des groupements de toiles abstraites brisent toute symétrie (We Have Lost Our Mirror). Elles semblent évoquer la diversité et l’inconstance des paysages nordiques. Le regard cherche inévitablement à les rapiécer. L’œuvre sculpturale Things That Last, un miroir au sol sur lequel sont posés une roche et un morceau de styromousse, engage le spectateur dans une réflexion sur la durabilité. La roche, cet élément naturel autrement résistant, parait fragile à côté de la styromousse qui met des années à se dégrader. Le spectateur, dont le reflet apparaît parmi les œuvres murales dans le miroir, devient témoin et participant de ce Nord soumis à l’exploration, à la colonisation et, dorénavant, aux changements climatiques.

L’imaginaire d’un Nord envahi par le blanc, symbole de pureté, est troublé par les toiles dont la couleur se reflète sur les murs (Passage Sought) et par les photographies qui font ressortir les couleurs des architectures (The Dilemna of Development, The Left Hand Points Toward Home). Par le feutre qui fait appel au sens tactile, le paysage et les objets deviennent sensibles, concrets et, surtout, présents. L’horizon, cette ligne qui commande le regard au loin, qui le porte vers une multitude de points de fuite, incite ainsi à réfléchir sur les possibles futurs d’un Nord bien réel.

1. Voir, par exemple, la bibliographie « Glacier Hazards », sur le site Web Glaciers, Climate, And Society de Oregon University : http://glaciers.uoregon.edu/2Bibliography.html, consulté le 10 octobre 2015.
2. Voir du côté des Circumpolar Studies et des Artic Studies.
3. L’expédition Franklin avait pour but de faire la première traversée du passage Nord-Ouest ainsi que d’explorer l’Arctique.