Vernissage : Le samedi 8 novembre 2025 de 15h à 17h
Jazz Keillor : Landscape(d)
Texte par David Dorais
L’ambiguïté que cultive Jazz Keillor entre nature et civilisation se trouve reflétée dans le titre de son exposition : ces images forestières minutieusement dépeintes sont-elles de véritables paysages (« landscape ») ou des mises en scène paysagères (« landscaped ») qui cherchent à faire vrai, parfois juste du bout des lèvres? Car non seulement on retrouve dans ces boisés touffus des objets absurdes tels que des prises électriques et des vélos d’entraînement, mais ceux-ci se parent de couleurs criardes qui mettent en relief leur incongruité. Même les éléments naturels se métamorphosent, comme infectés par le virus de la ville, de la culture, de la technologie : le daim et le lapin prennent des teintes bleu poudre morbides, le tronc du bouleau se plie à l’instar d’un arc roman ou d’un spaghetti, le bosquet devient un nuage qui flotte étrangement au-dessus du sol comme quelque vaisseau-mère extraterrestre.
Ces scènes étranges ne sont pas sans rappeler les croisements inattendus pour lesquels le surréalisme éprouve de la prédilection. On pense aux juxtapositions d’objets de Magritte ou de Dali. Chez Jazz Keillor, ces miniatures singulières ne se veulent pas l’expression de l’inconscient, mais des commentaires sociaux. Elles parlent du pouvoir que l’humain exerce sur son environnement. L’angoisse freudienne est ici remplacée par l’anxiété écologique. Le propos reste subtil : nulle prise de position campée, nulle dénonciation indignée. Plutôt une exploration de ce qui se trouve au carrefour de certains courants contemporains, qui nous paraissent aller de soi et dont se révèle l’absurdité pour peu qu’on prenne un pas de recul : l’asservissement de la nature et le culte du naturel, la recherche d’authenticité et la dépendance aux produits usinés, la mode du glamping, du cocooning et du workout. Ces peintures se présentent ainsi comme des condensés de nos névroses collectives.
L’artiste fait preuve d’ironie en peignant ses œuvres critiques et ludiques dans la vénérable tradition de l’art flamand. La touche de Jazz Keillor est précise et appliquée. Pour un peu, on croirait respirer les odeurs boréales de ces essences sauvages cohabitant dans l’espace restreint du tableau. Un rendu si clair crée un effet d’apaisement, que viennent briser les taches fluos des objets fabriqués. Le pacte du mimétisme se trouve brutalement rompu : les choses ne sont pas aussi transparentes qu’on l’aurait cru. Les cadres biscornus évoquant des hublots futuristes (quand ce ne sont pas des sièges de toilette) participent de ce bris du contrat réaliste, soulignant l’artificialité des paysages pourtant enchanteurs qui nous sont présentés.
L’œuvre de Jazz Keillor met ainsi en tension notre désir de nature et notre incapacité à la concevoir autrement qu’à travers les filtres de la culture. Ses tableaux agissent comme des miroirs déformants de notre époque, où l’authentique se confond avec le simulacre. On en ressort avec la troublante impression que, dans ce monde « paysagé », c’est désormais la nature elle-même qui imite l’art.


