Grand Canyon : Unseen

Texte de Véronique Gagnon

Pour cette nouvelle exposition, Holly King poursuit son exploration du paysage. Tout en inscrivant sa photographie dans une tradition picturale, l’artiste repousse les limites du genre tant dans son aspect conceptuel que dans les médiums employés. Elle engendre ainsi de nouveaux questionnements quant à la réalité qui nous entoure en soulignant le caractère illusoire de nos sensations liées à cette nature somme toute insaisissable. Pour rendre compte de ces enjeux, l’artiste s’appuie ici sur son expérience personnelle : prise au cœur d’une tempête de neige, son champ de vision s’est vu restreint aux limites d’une falaise alors que se déployaient plus loin les splendeurs du Grand Canyon. Ce paysage inatteignable constitue le point de départ de cette nouvelle série, et les titres des œuvres – Almost Paradise, Pathway to an Illusion – rendent compte de ce rendez-vous manqué avec la nature.

Dans la production d’Holly King, l’utilisation de la photo ne confirme pas la réalité du lieu. Tel que dans ses créations précédentes, c’est un environnement fabriqué artificiellement que l’artiste nous propose, une maquette sublimée par la dimension de la photographie finale. La tension provoquée par le mélange d’un médium propre à la documentation à ceux associés à la subjectivité créative s’inscrit au cœur des intentions de l’artiste de confondre illusion et réalité.

Depuis plusieurs années, King intègre à ses images différents jeux d’échelle. Ce procédé prend une nouvelle direction dans cette série puisque pour la première fois, elle introduit dans ses décors la photo d’un paysage réel, celui qu’elle expérimente lors de son périple au Grand Canyon. Reproduite en transparence, cette dernière s’insère discrètement dans ces panoramas imaginaires comme une parcelle de réalité. La monumentalité du site côtoie la délicatesse du geste miniature de la maquette : un pas de plus pour suggérer la petitesse humaine devant la grandeur de la nature, un pas de plus pour s’affilier avec la notion du sublime propre au paysage romantique.

Toutefois, sans négliger l’importance accordée au doute ressenti par le spectateur devant ce territoire étrange, l’objectif n’est pas ici d’impressionner par l’astuce technique, mais plutôt de « créer un paysage avec une résonnance émotive et sensuelle » dans lequel le spectateur peut se frayer un chemin. L’intellect de ce dernier demeure aussi stimulé par le décodage de la représentation qui lui est offert.

Alors que sa série précédente – Mangroves: Floating Between Two Worlds – proposait des photos monochromes où la couleur était ajoutée manuellement, le noir et blanc a ici préséance. En plus d’une certaine épuration, l’absence de couleur apporte une touche de mystère au tableau et crée une « distance philosophique » avec l’image. King accentue ainsi le pouvoir évocateur du paysage pour le rendre d’autant plus propice à la contemplation et permettre au spectateur d’accéder à un certain paysage intérieur.