Still life

Du 18 avril au 13 mai 2006

Texte de Marie-Ève Beaupré

À la surface des tableaux émaillés, notre corps est inquiété d’y percevoir son reflet. Les oeuvres nous dévisagent, résonnent notre présence; ce que nous voyons nous regarde. L’illusoire plénitude plastique des monochromes, cette première impression devant les oeuvres d’Henri Venne, se voit ainsi balayée par une sensation vertigineuse de l’espace où les surfaces pigmentées déstabilisent malgré leur calme apparent. Le regardant se trouve à la fois contemplatif face au minimalisme des paysages à l’état gazeux, à la fois actif dans sa posture afin de modifier le fantôme de sa présence. Si la couleur demeure une énigme à résoudre, l’oeuvre est la demeure de cette énigme et sa ligne d’horizon situe l’objet pensant.

Effectuant des prélèvements du paysage au moyen de la photographie, Henri Venne se consacre à une recherche sur la mémoire et le souvenir paysager. Bien que l’oeil de l’appareil possède d’éloquentes capacités descriptives, il ne mémorise que partiellement les atmosphères, les sensations abstraites d’un éclairage, le terrain poétique des lieux. L’artiste superpose alors peinture et photographie de manière à ce que ses enfermements colorés confèrent à l’absence de figuration la puissance d’évocation originelle. Sur le panneau d’aluminium, sous les couches picturales, sur le papier du tirage numérique, sous l’émail de la surface : les images du temps s’accumulent et s’imbriquent les unes aux autres. Chiasmes visuels. Les captations photographiques et réverbérations inscrites sur la peau laquée des tableaux entrelacent ainsi la mémoire affective des endroits évoqués et l’espace où les oeuvres s’exposent aux regards.

Ancrage dans le présent de sa constatation, exil dans la durée de la contemplation, le travail d’Henri Venne résulte sur une conception complexe du tableau qui expérimente la physicalité de l’oeuvre dont la surface vide en apparence de traces de figurabilité, évoque l’infini des possibles d’une poésie de la couleur. Devant l’évanescence des images, celui qui regarde oscille entre une contemplation du néant coloré et une déstabilisation face à une image abstraite et fuyante. S’ouvrant sur un dialogue entre l’idée de représentation et les possibilités sensorielles caractéristiques de la peinture formaliste, c’est tout un univers référentiel que déploie son oeuvre; comme si le pigment et sa texture propre parvenaient à simuler une archéologie de la mémoire. Et cette construction se poursuit dans la réception de l’oeuvre; le regardant étant aussi inventeur de lieux devant le monochrome.