Machinations

C’est une ville fantôme, vaguement féérique : une collection de lieux épars et inhabités. De fines architectures de la taille d’une figurine et leurs croquis d’origine composent ainsi un univers parallèle. Ici, un passage étrange, fait de la rencontre de bibliothèques et d’autos tamponneuses sur le papier à dessin. Là, le théâtre d’un Shakespeare introduit au revers de son décor, le balcon, perché sur le maillage d’une plomberie aérienne. Les miniatures de Guillaume Lachapelle constituent l’ossature de scènes invraisemblables, pareilles aux constructions que bricole l’enfant et qu’il abandonne une fois le jeu terminé, comme l’effiloché d’un récit. Ces jouets en plastique opalin ouvrent les portes d’un univers où la créativité enfantine se drape de la mélancolie des lieux déserts. Y pénétrer, c’est consentir à l’abandon contemplatif que propose l’art lorsque s’y rencontrent la finesse d’exécution et l’extravagance du rêve.

De fait, ces œuvres sont le fruit d’un artisanat étonnant, fabriquant à la machine des objets hybrides ou détournés de leur fonction. Ainsi, la cabine a perdu son téléphone. Quatre portes y donnent accès. On l’imagine au centre d’un carrefour, comme un lieu de passage. Le déplacement semble d’ailleurs le thème cardinal de l’exposition. Pourtant, aucune mécanique n’anime les petites sculptures. Des sièges de chauffeur invitent au confort d’un voyage impossible : l’un posé sur les hauteurs d’un réseau de tuyauterie, l’autre niché dans un habitacle encastré au mur, un troisième, enfin, monté sur une plateforme fixe assortie d’une thermopompe en guise de moteur. Parmi ces véhicules improbables, et comme égaré, un landau couleur de bronze emprunte la forme d’un urinoir pourvu de roues. La délicatesse de l’objet, par ailleurs vulgaire, laisse songeur : c’est là la vertu des objets de Lachapelle comme de leur regroupement. Il en va ainsi des bibliothèques qui s’offrent comme toile de fond à l’imaginaire insolite de l’artiste. Surmontées d’un entablement, prolongées de balcons ou d’escaliers de secours, les bibliothèques décrivent de véritables architectures. Les villes invisibles prennent ainsi le savoir pour façade. Des failles profondes, pourtant, en troublent l’aspect; entre pièges et refuges, les bibliothèques creuses rappellent la quête mélancolique du savoir absolu et invitent à se laisser prendre aux songes qu’elles abritent.

Contempler les maquettes de Lachapelle, c’est en effet se délester du poids de l’ordinaire. Du haut de ses quinze centimètres, une bibliothèque finement reproduite défie le curieux de s’en détourner. Le pouvoir des modèles réduits est de captiver. Assez petite pour tenir entre les doigts, la maquette, d’abord outil de conceptualisation, matérialise un objet de pensée. Pourtant, force est d’admettre que la fascination de ces miniatures tient à ce qu’elles ne sont pas que des objets, mais aussi des images. Frêles machines à poèmes, les maquettes et leurs épures fomentent des attentats contre le réel, auxquels ils fait bon de s’abandonner.