Retrospective sur papier

Du 28 février au 4 avril 2009

Texte de Anne-Marie St-Jean Aubre

À l’occasion de l’exposition rétrospective Claude Tousignant, organisée par le Musée d’art contemporain de Montréal, la galerie Art Mûr propose un survol de ses œuvres sur papier. Réunissant à la fois des travaux plus récents et des œuvres datant des débuts de la production de l’artiste, alors que ses cibles et autres « tableaux-objets » plus connus ne sont pas encore réalisés, cette exposition a le mérite de mettre à l’avant-plan ce volet plus discret de la pratique de Tousignant, qui traverse pourtant l’ensemble de son œuvre.

Deux champs d’exploration s’affirment avec force chez Tousignant : la couleur et la ligne. Remontant jusqu’au milieu des années 1950, la galerie présente des aquarelles, gouaches et encres de Chine sur papier, qui témoignent notamment de sa période tachiste. Alors qu’il nous habituera à des couleurs pures, saturées et vibrantes, dont l’emplacement est bien délimité sur des toiles de grands formats, ces aquarelles aux dimensions modestes montrent plus de transparence et de nuance dans l’application des « plans-couleurs », qui laissent apparaître le geste de l’artiste. Explorant les multiples combinaisons possibles entre couleurs, formes et dimensions, les faisant interagir entre elles pour créer l’espace pictural, Tousignant laisse pressentir dans ces aquarelles les problématiques qui seront par la suite au centre de son œuvre. Géométrisant et précisant ses formes à l’aide de la technique du « hard-edge », puis effaçant toutes traces du passage de sa main, il s’engagera dans une épuration constante de ses moyens plastiques. Certaines sérigraphies, en particulier les diptyques circulaires (1975), l’œuvre Gong 1-5 (1975), ainsi que les carrés et rectangles flottant sur un fond coloré donnent justement un aperçu des voies qui seront ensuite empruntées par l’artiste.

Si les premières œuvres mentionnées étudient davantage le potentiel d’organisation spatiale propre à la couleur, les encres et les aquarelles datant de la même période examinent plutôt les qualités de la ligne, inspirées qu’elles sont par l’art zen et les propriétés graphiques des idéogrammes orientaux. Couvrant d’abord de larges traits noirs et rouges la mince surface blanche du papier, l’artiste reviendra à la fin des années 1970 à cette tendance calligraphique, simplifiant à l’extrême ses compositions en n’effectuant plus qu’un seul geste, organisant d’un seul trait l’espace pictural. Suite à cette série, il produira aussi de sobres encres sur papier qui reprennent la forme circulaire parfaite pour laquelle il est reconnu. Quant au diptyque de la série Suite Wittgenstein (1994), c’est vers la mise en œuvre d’une tension entre la densité de la matière des deux panneaux noircis au conté qu’il oriente le regard.

S’il peut sembler étonnant a priori de trouver des œuvres gestuelles à chaque étape de la production de Tousignant, cette situation s’explique lorsqu’on s’attarde à son mode de création. Selon Boris Chukhovich, ces œuvres gestuelles auraient pour fonction de permettre à l’artiste une exploration sans limite, l’amenant à percevoir des qualités ou des possibilités plastiques nouvelles, qu’il peut par la suite isoler et épurer1. Soustrayant tout le surplus gestuel faisant écran autour de l’élément pictural découvert, l’artiste poursuit ainsi sa quête ultime de simplification. Tousignant lui-même affirme d’ailleurs travailler en boucle, et non pas selon une logique de développement évolutive et linéaire. Et c’est cette approche qui lui a évité de se retrouver face à un cul-de-sac, une situation vécue par plusieurs peintres modernistes qui, suite à leur atteinte de la monochromie, ont senti qu’ils avaient épuisé les possibilités de la peinture abstraite. Pourtant, Claude Tousignant ne cesse de renouveler et d’approfondir sa démarche, et ce depuis maintenant plus de quarante ans.

1. Voir « Perspectives sur Claude Tousignant », l’exposition virtuelle en ligne sur le site Internet du Musée d’art contemporain de Montréal (http://tousignant.virtuel.macm.org/1000.php).