Périphériques et Retables

Du 26 avril au 16 juin 2012
Claude Tousignant: Périphériques et Retables

Texte de Paule Mackrous

La pratique de l’art abstrait se déploie souvent comme une recherche picturale minutieuse. Si le désir de faire émerger un nouveau paradigme dans une histoire de l’art linéaire fut longtemps l’ambition de cette recherche, l’art de Claude Tousignant n’a jamais été a priori un lieu de transgressions. Sa pratique est guidée par une quête personnelle et celle-ci, tel que l’exprime l’artiste, s’inscrit dans « un continuum organisé selon une ligne non pas évolutive, mais plutôt en boucle1 ». Certaines pistes explorées par le passé ressurgissent tout à coup dans les explorations récentes. Les fameux tableaux circulaires de Tousignant apparaissent ainsi métaphoriques de ce mouvement cyclique qu’exhume l’ensemble de son oeuvre.

L’artiste, dont on identifie le travail à la seconde génération des Plasticiens, n’opère pratiquement aucune forme de théorisation de ses œuvres. « L’art est une expérience », répète Claude Tousignant au fil de ses entrevues. Dans les compositions murales de la série intitulée Périphérique, des tensions sont générées aux alentours des petits tableaux monochromes. Ceux-ci sont regroupés sur un mur blanc qui leur sert de toile de fond. L’exercice de la description révèle l’impossibilité de traduire en mots le dynamisme engendré par les couleurs, les dimensions des carrés et leur agencement dans l’espace.

Si la figuration est entièrement évacuée de l’art de Tousignant, certains titres sont en revanche évocateurs. Tel est le cas de la série intitulée Retables invoquant une table destinée aux offrandes (le retable étant l’œuvre se situant dans la partie postérieure d’un autel). Usuellement richement ornés et dissimulés derrière des volets après le rituel sacrificiel, les retables prennent ici une forme non religieuse sans pour autant occulter leur caractère spirituel. Abstraits et dénués des volets traditionnels, ils forgent l’espace intime du regardant bien plus qu’ils n’engendrent un univers impénétrable. Les triptyques formés de pans de couleurs rappellent les grands formats de Barnett Newman dont Tousignant s’inspire depuis une rencontre avec le peintre américain en 1962. Rappelons aussi Kandinsky, pour qui la couleur provoque une vibration dont l’ « effet psychique superficiel n’est, en somme, que la voie qui lui sert à atteindre l’âme2». L’absence du « narratif », dans les œuvres de la série Retables, ouvre la voie au numineux3, une expérience singulière et spirituelle ne requérant aucune connaissance pour être vécue.

Les manifestations artistiques de Claude Tousignant, un homme dont la quête est grande parce qu’à la fois constante et fondamentale, continuent d’animer avec force le paysage de l’art abstrait au Québec et à travers le monde.

1. Bernier, Christine, « Entrevue avec Claude Tousignant », dans Perspectives sur Claude Tousignant, Musée d’art contemporain de Montréal, Septembre 2005.
2. Kandisky, Vassily, Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier, Paris, Gallimard, 1988, p.151.
3. Otto, Rudolf (1969), Le sacré, Paris, petite bibliothèque Payot.