Modulateur de lumière et suite P.M.

Du 15 janvier au 19 février 2005

Text by Mark Lanctôt

Tout au long de la carrière de Claude Tousignant, il s’est installé une certaine ambivalence: s’il y a une constante affirmation de la matérialité de l’œuvre, celle-ci peut disparaître aussitôt au profit d’une abondance de couleur immatérielle. Dans le catalogue de l’exposition Art abstrait présentée en 1959 à Montréal, Tousignant signe un texte où il expose la base de sa démarche :

« Ce que je veux c’est objectiver la peinture, l’amener à sa source, là où il ne reste que la peinture vidée de toute chose qui lui est étrangère, là où la peinture n’est que sensation . »

Paradoxalement, c’est par l’entremise de la sculpture qu’il tient aujourd’hui son pari.

Les Modulateurs de lumière, sont une série de trois sculptures en aluminium peintes en blanc. Comme l’indique leur titre, ces oeuvres, composées de plusieurs panneaux verticaux assemblés en angles, modulent la lumière ambiante. Les reliefs accidentés créent des zones d’ombrages et de lumière dont l’intensité varie selon l’éclairage. Cependant, si les objets demeurent relativement simples en apparence, les répercussions sont assez complexes. Comment une sculpture, qui traditionnellement traite de volume et d’espace, peut-elle devenir un objet « lumineux ? »

Pour mieux comprendre comment l’artiste y arrive, nous devons remonter au début des années soixante quand Tousignant crée une série de sculptures dont Petite sculpture blanche (1960-61) et Spatiale (1960). Ces assemblages de plans sont en effet le point de départ des Modulateurs actuels. À partir de ces oeuvres, Tousignant continue d’opérer une fusion entre peinture et sculpture. Puisque la lumière est au cœur des Modulateurs et des pratiques monochromes récentes (entres autres les œuvre exposées à la Galerie René Blouin en 2002), peut-on parler ici de sculptures à tendance picturale ? Tousignant écrit en 1987 : « De toute façon, au point où j’en suis, après avoir fait plusieurs fois le tour de la question, j’arrive à penser qu’après tout, la définition nette entre la peinture et la sculpture n’est pas si importante que ça. »

Ce retour sur le passé afin de mieux redéfinir un problème plastique n’est pas inédit chez Tousignant. En effet, un nouveau corpus est souvent issu d’un dialogue avec l’art qui le précède. C’est un parcours qui, par le truchement de citations, lui permet de s’inspirer de son propre travail ou de celui des pionniers de l’art abstrait au 20e siècle. On peut retracer cet engouement pour l’histoire de l’abstraction à sa participation à l’exposition Art abstrait de 1959 où les exposants disent rendre hommage à Malévitch, Tauber Arp, Mondrian et Van Doesburg.

En faisant directement référence à Mondrian, l’actuelle série de collages permet à Tousignant de renouveler avec cette façon de faire. Effectivement, la Suite P.M. 1917, fait référence à une série de tableaux de Mondrian peint en 1917 .

Plus près de Tousignant, cette suite reprend les enjeux soulevés par la longue série de monochromes peints sur de minces carrés d’aluminium à la fin des années quatre-vingt : les Écrans chromatiques. Dans les deux cas on peut voir que Tousignant y explore la dynamisation d’un espace neutre par l’entremise d’éléments monochromes plus ou moins autonomes. Ici, les carrés d’aluminium fixés au mur sont remplacés par des carrés de papier collées à une feuille blanche. La symétrie des Doubles écrans chromatiques (diptyques) cède sa place à une composition moins statique d’éléments de tailles différentes, répartis de manière irrégulière sur le support de papier.

1. Claude Tousignant, « Pour une peinture évidentielle », Art Abstrait, Montréal, Musée des beaux-arts de Montréal, 1959, n.p. 2. Cité par Normand Thériault, Claude Tousignant, New York, 49e Parallèle, 1987, p. 31.