Vernissage : Samedi 5 novembre 2022 de 15 h à 17 h.
Cal Lane: Queen Size
Texte de David Dorais
L’exposition de Cal Lane à la galerie Art Mûr marque une étape charnière dans sa production. Connue pour des œuvres où elle subvertit la dureté de l’acier en le rendant fin comme de la dentelle, elle reprend ici ce procédé avec les haltères et les pelles qu’elle présente, mais elle agrémente ces dernières d’un chic rembourrage de velours rouge. Un tel ajout vient rehausser l’ironie déjà présente, tout en introduisant le matériau textile, dont la douceur est nouvelle dans le travail de Lane. Cette douceur se retrouve aussi dans le support que l’artiste a choisi pour ses peintures, des matelas récupérés servant de toiles à des gros plans de têtes endormies. C’est la première fois que Lane expose des œuvres peintes, ayant jusqu’ici pratiqué le dessin et la peinture seulement comme des activités privées.
Les haltères et les pelles se placent dans la continuité de sa production. Ayant travaillé durant sa jeunesse au salon de coiffure de sa mère sur l’île de Vancouver, puis ayant été formée en soudure, Cal Lane crée depuis le début des années 2000 des œuvres où s’entrecroisent grâce et solidité, féminité et masculinité. Ces oxymores matériels prennent des formes étonnantes qui déjouent les attentes, provoquant une surprise à la fois amusée et embarrassée. Ce sont des petites culottes de métal qui rappellent des ceintures de chasteté, des barils de pétrole ajourés et rendus délicats comme des canettes de machine à coudre, des pelles de jardin au godet taillé en dentelle, ou des haltères dont les poids sont des napperons dignes du high tea. Pour l’exposition chez Art Mûr, Lane accentue le renversement des codes de genre et de classe en transformant ses pelles en biens de luxe et en remplaçant les poids de ses haltères par une porcelaine fleurie.
Pour leur part, les peintures grand format, montrées pour la première fois, témoignent d’une nouvelle orientation dans le travail de Lane. Si le réflexe de récupérer des objets abandonnés demeure le même (et comporte la même charge critique sur la surconsommation à l’ère capitaliste), la souplesse du matériau et le recours à la figuration sont inédits. Le confinement causé par la pandémie de COVID-19 a amené l’artiste à se consacrer à la peinture, ce qu’elle désirait faire depuis plusieurs années. Le piqué apparent des matelas, leurs couleurs vives, leurs motifs de vagues, de nuages ou d’écailles, et les larges visages apaisés des dormeurs et dormeuses, tout évoque une atmosphère de repos, de familiarité et de nostalgie. Il s’agit d’un élément qui vient étoffer l’univers domestique, cet univers de chambre à coucher et de cour arrière, que Cal Lane se plaît à explorer. Elle le fait en réinterprétant les objets que, rendus négligents par les habitudes du regard et des conventions, nous ne voyons plus.