Car Bombing

Texte de Lyne Crevier

Portières, capots, amortisseurs de voitures accidentées, rouillées, ont subi le supplice du chalumeau oxyacétylénique dans la série de sculptures, Car Bombing , de Cal Lane. Toutefois, le métal a été ouvré ici de manière à ce qu’il s’apparente à de la dentelle au crochet. Ces oeuvres ont été présentées auparavant dans le cadre de l’exposition collective, Radical Lace & Subversive Knitting , au Museum of Arts & Design de New York, réunissant 27 artistes internationaux des deux sexes. Un événement lors duquel les notions de délicatesse, de féminité ou d’innocence, que l’on associe le plus souvent au tricot et à la dentelle, n’avaient désormais plus cours. Ainsi ces passe-temps, dits «féminins», venaient-ils de muter sans crier gare. Car Bombing montre en effet des pièces délibérément explosives. Leur créatrice, Cal Lane, sculpte des motifs complexes à partir de carcasses de voitures. Résultat: son travail musclé n’est pas sans rappeler celui de John Chamberlain qui recourt lui aussi à des véhicules détruits pour en constituer une sorte de mémorial de la civilisation automobile. Or, chez Cal Lane, cette destruction massive se traduit par un déplacement poétique et une totale investigation physique. En plus de privilégier la dentelle comme motif.

Motif qu’elle reproduit au sol, en s’inspirant d’une technique culinaire de sa grand-mère, tamiser du sucre en poudre sur de petits gâteaux à l’aide d’un napperon ajouré. Ici, son dessin au pochoir met à contribution les scories recueillies au fur et à mesure que la sculpture avance, en vue de les intégrer par la suite aux installations. Visuellement, l’ensemble joue sur les paradoxes. Affichant force et fragilité, noirceur et transparence. Lesquelles confèrent in fine plus de poids à la dentelle. Cette dentelle, notez, qui aurait vu le jour au XVI e siècle dans la région de Venise, était exclusivement réservée aux hommes. Ce n’est qu’à partir de Napoléon 1 er qu’elle devient un accessoire féminin.

Cal Lane inverse à son tour la donne. Dans sa pratique, elle recourt à des matériaux de construction, traditionnellement chasse gardée masculine. Poutres métalliques, pelles, brouettes deviennent entre ses mains des pièces hybrides d’aspect néanmoins aussi ténu que des fondants en pâtisserie. Ainsi chaque évidement de la matière révèle une certaine perte, symbolique autant que charnelle. Qui a beaucoup à voir avec la fugacité des choses. De leur légèreté aussi, de leur lourdeur. Bref, Car Bombing, «Attentat à la voiture piégée», sait-il provoquer de beaux dommages collatéraux.