Wrong Place, Wrong Time

Du 9 novembre au 21 décembre 2019
Vernissage : Le samedi 9 novembre 2019 de 15 h à 17 h
Brandon Vickerd : Wrong Place, Wrong Time
Art Mûr Montréal

Texte de Geneviève Marcil

Brandon Vickerd a par le passé exploré l’hybridité anthropomorphique et les élans technologiques au moyen de la taxidermie et de la mécanique. Pour l’exposition Wrong Place, Wrong Time, l’artiste revisite ces thèmes en mettant cette fois le coulage du bronze à l’honneur Vickerd tire des juxtapositions anachroniques et incongrues de ce matériau, qui rappelle à la fois la statuaire antique et les monuments publics modernes. Ces associations provoquent le rire ou l’inconfort et détonnent dans l’espace de la galerie comme dans le décor urbain auquel une part importante de sa production est destinée. Voilà sans doute où résident les incohérences contextuelles et temporelles évoquées par le titre de l’exposition.

Inspiré par la tradition matérielle du bronze, l’artiste puise abondamment dans les références à la mythologie grecque, qu’il s’amuse à subvertir. Avec Atlas (2019), Vickerd opère un renversement du célèbre récit du porteur du globe. Plutôt que de soutenir bravement le poids du monde, le Titan semble assailli par de multiples sphères qui cachent le haut de son corps, ne laissant voir que ses chaussures distinguées et son pantalon habillé. La sculpture Flora Hominis (2019) illustre quant à elle un état transitoire entre l’humain et le végétal dont le détail évoque la métamorphose de la nymphe Daphnée en arbre, jadis immortalisée par le Bernin. L’artiste présente ici une étude fragmentaire de ce monument commandé par les Jardins botaniques royaux de Burlington, en Ontario. Alors que la statue vise à honorer le fondateur de l’endroit, ce dernier est rendu paradoxalement méconnaissable par la végétation qui prolifère sur son visage. Vickerd remplace de la sorte la célébration héroïque de ses sujets par une occultation partielle de leur identité.

Le sculpteur adjoint habilement aux thématiques classiques les signifiants des promesses déçues de l’idéologie moderniste. À l’occasion du 50e anniversaire du premier alunissage américain, Oblivion (Dead Astronaut #2) (2019) considère avec sévérité le projet de conquête de l’espace. Le crâne qui fait irruption du casque de l’astronaute, allié aux écussons à l’effigie du drapeau américain et du logo de la NASA qui semblent fossilisés dans la surface bronze, agissent comme memento mori du rêve de grandeur d’une nation. L’ensemble fait simultanément figure de relique de la Guerre froide et de l’optimisme du siècle dernier en matière de progrès technique.

À travers ces jeux de dissimulation et de révélation, l’artiste exacerbe les tensions formelles et thématiques au cœur de ses sculptures tout autant qu’il les tourne en dérision. Les divers habits sociaux qu’il met en scène, du complet-cravate corporatif à la combinaison spatiale et à l’équipement policier antiémeute (Riot, 2019), suggèrent le pouvoir symbolique associé à ces archétypes tout en signalant leur inéluctable finalité. À ce titre, Vickerd gravite quelque part entre Ovide et Kubrick dans son exploration critique du passé et son anticipation lucide de l’avenir.