Titulaire d’une maîtrise en beaux-arts de l’Université Victoria, Brandon Vickerd réalise des œuvres provenant de formes d’art aussi variées que l’intervention in situ, la performance et la sculpture. Son travail fut l’objet de plus d’une trentaine d’expositions solos et de groupe au cours des dernières années. Pour Chopper, l’artiste propose une série de sculptures créées selon des techniques de fabrication de motocyclette.
« Comment pouvions-nous considérer d’une façon aussi différente cette petite pièce de métal?1 » s’interroge Pirsig dans son fameux Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes. Pour l’un, la pièce de métal apparaît comme une solution afin de faire fonctionner la machine. Pour l’autre, la commodité de l’objet échappe. Les pièces d’une motocyclette renferment à la fois un aspect fonctionnel et un aspect esthétique. Cette tension est au cœur des sculptures de Vickerd. Les pièces qui nous sont familières (silencieux, réservoir à essence) y révèlent leur usage en même temps que leur propriétés formelles singulières.
Le titre, Chopper, réfère à une sorte de moto typiquement américaine. Celle-ci se caractérise par un aspect dépouillé, une fourche très longue et une peinture personnalisée. Vers la fin des années ‘60, de jeunes Américains souhaitent conduire des motos rapides, mais moins lourdes que ce que l’on retrouve alors sur le marché. C’est pourquoi ils se mettent à « chopper » (ou échopper), c’est-à-dire, à retirer les éléments non essentiels au fonctionnement de la machine. Les sculptures de Vickerd sont dépouillées, voire squelettiques, et raffinées. Elles mettent ainsi en valeur le travail minutieux de l’artisan, typique de la confection du Chopper. La subjectivité, inhérente à l’assemblage des pièces opéré par l’artiste, révèle quant à elle l’oeuvre d’un sculpteur minimaliste à la recherche d’une forme pure.
Les objets chromés et cirés de Vickerd génèrent un système symbolique très fort. Par une suresthétisation de leurs formes, ils évoquent ce qui, dans l’imaginaire commun, les anime : la liberté liée à un mode de vie propre à la culture du motocyclisme. Plusieurs personnages ont marqué cet imaginaire. Je pense aux héros de Easy Rider2, par exemple, un road movie emblématique de la contre-culture américaine. Les deux personnages principaux sont des motards voyageant sur des Choppers. Ces motos traduisent une époque en effervescence dont les survivances s’expriment ici à travers des objets dysfonctionnels. Il
n’en reste que l’illusion d’un usage propre à un mode de vie idyllique. Les sculptures semblent parfaites, sans erreurs ni entailles, tel des idéaux que l’on érige à partir des quelques restes du passé, comme pour les faire basculer dans l’intemporel.
L’exposition Chopper m’évoque une citation célèbre, révélatrice d’une vision de la motocyclette pour laquelle les propriétés dépassent argement l’utilité : « Four wheels move the body, two wheels move the
soul3. »
1. Robert Pirsig, Traité du Zen et de l’entretien des motocyclettes, Paris, Seuil,1998, p. 53.
2. Dennis Hopper, Easy Rider, Etats-Unis, 94 minutes, 1969.
3. Il s’agit d’une citation célèbre dans la culture du motocyclisme. Toutefois, celle-ci est anonyme.