Jersey Girls

Du 12 mars au 23 avril 2011

Texte de Laurent Vernet

Jersey Girls de Bevan Ramsay est un commentaire ludique sur la valeur de la culture dans notre société. La ménagerie fabriquée de toutes pièces par l’artiste incarne une tension entre culture populaire et culture savante. Ce rapport de force est mis en scène par des squelettes de dinosaures de taille réelle qui évoquent le combat perpétuel que l’art mène au divertissement pour sa survie.

Pour le (télé)spectateur averti, le titre de l’exposition pourrait annoncer une série de portraits de Snooki et des autres participants féminins de la très populaire téléréalité Jersey Shore. Mais les filles de Ramsay ne partagent rien, en apparence, avec les Italo-américaines en vacances à la plage que présente MTV. L’ossature des trois vélociraptors et du tricératops réfère plutôt à ces maquettes en bois peu dispendieuses destinées aux enfants. Par contre, le modèle n’a pas ici été réduit : il se compare à la chose véritable, qui se retrouve désormais au musée, et dont le prix est en quelque sorte inestimable – à ce détail près que des squelettes de dinosaures ont récemment été vendus aux enchères à des particuliers. Suggérant ainsi une série de contradictions, ces sculptures semblent réfuter avec humour tant le statut de jouet que celui d’objet de collection.

Les motifs décoratifs qui agrémentent à certains endroits la surface nue des squelettes ont des sources historiques. Les carnivores sont ornés d’éléments du style rocaille, à la mode sous Louis XV. L’herbivore porte des motifs floraux associés au chintz qui, depuis le 17e siècle, ont été revisités par nombre de créateurs dont la designer Laura Ashley. Dans des tons doucereux et au fini métallique, ces ornementations sont les symboles d’une certaine définition du goût; d’une idée de la culture. L’artiste, à travers ce choix à la fois beau et ennuyant, provoque notre jugement esthétique. Ramsay nous force à questionner si ce qui relève du passé, tout comme ce qui est socialement considéré noble ou important est nécessairement pertinent.

La lutte que mènent les bêtes de Ramsay porte sur les paramètres qui définissent la valeur de l’objet d’art. Dans l’écosystème culturel, tant les lois de la nature que celles du marché régissent la place accordée à chacun. Mais la mélancolie et le pessimisme n’ont pas raison d’être. Face à Snooki et à ses acolytes, dont les mésaventures sont suivies à travers le monde, les dinosaures de Bevan Ramsay affirment leur postmodernité et refusent d’être en voie d’extinction.