Anything, Anytime, Anyplace, For No Reason at All

Du 13 janvier au 24 février 2018
Vernissage : Le samedi 13 janvier 2018 de 15 h à 17 h
Adam Gunn : Anything, Anytime, Anyplace, For No Reason at All
Art Mûr, Montréal (QC)

Texte de Suzanne Viot

Anything, Anytime, Anyplace, For No Reason at All, la première exposition individuelle d’Adam Gunn à la galerie Art Mûr, nous plonge dans un monde halluciné et absurde. La technique picturale de Gunn est classique : il peint à l’huile sur panneaux de bois, sa palette de couleurs semble empruntée à la peinture rococo et il use d’effets atmosphériques dont la tradition remonte aux paysages de la Renaissance. Mais ce qui est représenté interpelle l’imagination du regardeur : l’univers de ses tableaux ne se réfère à aucun endroit réel. On reconnaît parfois une plante, une roche ou un objet du quotidien, mais la plupart des formes et des volumes n’évoquent rien de connu. Quand plusieurs éléments surgissent dans cet espace abstrait, ils semblent n’avoir aucun rapport les uns avec les autres. L’artiste décrit lui-même sa pratique comme de la peinture figurative non-représentative. Il dit de son style « cartoonesque » qu’il est caractéristique de la figuration inventée. Les espaces mentaux et le style de Gunn font effectivement penser à Magritte ; tout comme ses formes indéfinies et organiques peuvent rappeler celles d’Yves Tanguy. Pourtant, s’il y a une parenté évidente entre Gunn et les surréalistes, sa démarche est nourrie d’autres influences, qu’il mentionne dans son mémoire de fin d’étude (Gunn a terminé sa maîtrise à l’Université de Concordia cette année).

L’artiste revendique de travailler sans aucune référence. Le titre même de l’exposition est une citation de Frank Zappa. Le musicien avait fait de « Anything, Anytime, Anyplace, For No Reason at All » une sorte de devise anti-esthétique, qui signifiait son refus de restreindre sa créativité et d’interpréter sa propre musique.

L’improvisation est au cœur de la pratique d’Adam Gunn. Il affirme accorder une attention de plus en plus grande au processus de création, s’inscrivant ainsi dans l’héritage des artistes du mouvement Fluxus. Pour ces derniers, c’est le geste créatif qui porte une valeur artistique, et non l’œuvre finie. Ainsi, Gunn n’a qu’une vague idée de la composition générale de son œuvre en l’ébauchant. Le tableau émerge peu à peu, évolue au gré de l’inspiration ; certaines parties sont entièrement remaniées ou recouvertes au fil de la production.

L’expérimentation est également une composante fondamentale de son œuvre. L’évolution de la forme de ses créations constitue un bon exemple de cette méthode de travail intuitive. L’artiste raconte avoir découpé des formes rondes dans du bois pour créer une installation. Mais en les voyant, il eut envie de peindre dessus. Quelques essais suffirent à le persuader que ce nouveau format lui convenait davantage : les peintures arrondies sont plus proches de la vision oculaire.

D’autre part, le contour des tableaux n’est pas géométrique, il épouse plutôt des formes courbes et « bancales » (sic, « wonky » en anglais) qui rappellent les formes organiques peintes par Gunn. Il a ainsi commencé à donner une forme convexe à ses supports. Quelques-unes de ses plus récentes productions, que l’on ne peut plus vraiment qualifier de bidimensionnelles, sont présentées dans l’exposition.

Bien souvent, notre œil saisit un élément et croit le reconnaître : une fleur, des feuilles, une chevelure, un tube, un étrange fruit extraterrestre, un organe, des cordons, des grumeaux, une roche… C’est que le cerveau est habitué à interpréter notre environnement, et Adam Gunn nous emmène aux frontières de la représentation. Ici, des coups de pinceau paraissent représenter un objet, son ombre ou sa matière. Ailleurs, d’autres traits ne sont rien de plus que de la peinture à la surface du tableau.

Certaines œuvres sont des paysages, mais il est impossible d’en définir l’échelle, car les représentations de Gunn n’appartiennent pas à notre dimension et n’obéissent pas aux lois de ce monde. Les textures et les qualités physiques n’existent ici que pour elles-mêmes : la fourrure, le lisse, la brillance se donnent à voir gratuitement, sans autre dessein que leur simple existence. De même, le vent, la vitesse, le flottement, l’immobilité de l’air sont complètement dénués d’intention narrative.

Adam Gunn cite Gerhard Richter : « A picture presents itself as the Unmanageable, the Illogical, the Meaningless » . Dans un monde hyper-connecté qui multiplie les discours et les représentations, Gunn prône l’ineptie et la futilité.