Théoricien, architecte, professeur et artiste, Melvin Charney témoigne d’un parcours hétéroclite qui se reflète dans un intérêt pour la multidisciplinarité à travers ses œuvres. Celles-ci font partie de plusieurs collections prestigieuses et furent notamment exposées à New York, Berlin, Paris et Barcelone. L’artiste eut aussi l’honneur de représenter le Canada à deux reprises dans le cadre de la Biennale de Venise : une première fois en 1986 lors de la 42e Biennale de l’Art et, ensuite, en 2000 pour la 5e Biennale de l’Architecture.
Il fut aussi le concepteur du controversé projet Corridart (1976), coordonné en collaboration avec le Comité organisateur des Jeux Olympiques, qui regroupait les installations d’une soixantaine d’artistes sur la rue Sherbrooke. À quelques jours de l’ouverture des Olympiques les œuvres furent détruites sous les ordres du maire Drapeau, pour des raisons qui demeurent encore obscures. Charney fut également le créateur de plusieurs installations permanentes, tel le Monument canadien pour les droits de la personne à Ottawa, la Place Émilie-Gamelin et le Jardin du Centre Canadien d’architecture de Montréal.
L’artiste amalgame les disciplines et médiums qui, une fois combinés, se répondent afin de former une dialectique structurée. En effet, il aborde son travail comme une construction, qu’il s’agisse d’œuvres tridimensionnelles ou sur papier. Son plus récent travail nous dévoile des fragments de la vie quotidienne qu’il sélectionne et prélève, pour ensuite les numériser, agrandir, reproduire, combiner puis associer.
L’œuvre de Charney a pour assises la société ainsi que la matière qu’elle lui offre. Par exemple, la structure simplifiée d’une maison représentée dans Illinois : G-4205-F se révèle être celle du pawnshop où le tueur de Virginia Tech se serait approvisionné en armes, reproduite à partir d’une photographie publiée dans un journal peu après le massacre. La répétition du motif sur la surface évoquerait-elle le voyeurisme malsain découlant de la forte couverture médiatique de l’événement ? Ce bâtiment devient par sa décontextualisation, sa schématisation et sa répétition, un symbole qui sublime l’événement même. Le contenu d’une annonce classée faisant la promotion de services sexuels se trouve agrandie ; alors qu’à l’origine elle n’occupait qu’un espace très réduit, le rapport intimiste nécessaire pour en faire la lecture est rompu. Un torse nu féminin est reproduit au pastel à l’huile. L’accent est mis sur les seins et le pubis, offrant une certaine connotation érotique, voire pornographique, à la scène. Les courbes féminines semblent intensifiées par le modelé des volumes ainsi que par les tonalités réalistes employées. À l’avant-plan, des structures humanoïdes semblent en mouvement. Ces êtres hybrides appartiennent au répertoire de l’artiste depuis plusieurs années déjà et ne sont pas sans faire référence aux théories freudiennes, dans lesquelles les bâtiments représenteraient symboliquement le corps humain ainsi que son caractère charnel. La juxtaposition de ces divers éléments permet de comprendre le message caustique de l’œuvre, qui témoigne d’un véritable phénomène sociétal.
Charney questionne la dichotomie des domaines privés et publics dans la sphère sociale, interroge les comportements humains et la transformation qu’il constate autour de lui depuis un certain nombre d’années. Alors que le commentaire social et urbain évoqué par l’œuvre de l’artiste prenait précédemment appui sur l’architecture et ses applications, il émane dorénavant de champs davantage élargis et transmet un discours constamment réactualisé.