Souffle

Du 11 janvier 2007 au 10 février 2007

Texte de Daniel Canty

La méthode du papillon

Laissez-moi vous raconter ce que j’entends des secrets du souffleur.

Pour animer les créatures de synthèse de Souffle , Patrick Beaulieu a emprunté sa méthode au papillon, et, pour se faire souffleur, a tour à tour dû se métamorphoser en naturaliste, en passe-frontière et en automaticien.

Naturaliste imprécis, il aurait oublié son métier pour n’en retenir que l’impulsion poétique. Dans la plaine d’inondation du lac Saint-Pierre à Baie-du-Febvre au Centre-du-Québec, il recueille les plumes perdues par les oies blanches et rapporte à Montréal une branche unique et sa feuille ultime. Au Mexique, dans une forêt de l’État du Michoacán, il découvre le refuge des monarques, partis du Québec, morts au terminus de leur migration, et remplacés au retour par une génération issue de leurs accouplements nomades. Coupant leurs ailes à de nombreux spécimens tombés au sol , il les glisse entre les pages, entaillées par la même lame, d’un livre d’écolier. Son spécilège est une copie de Geografía Física, Social y Económica de Carlos Benitez Delorme (Editorial Herrero, S.A., México, D.F., 1964 (1963).

Bien que le plasticien ait pu d’abord rescaper l’ouvrage des bacs d’un bazar mexicain pour sa maquette et ses cartes et schémas en noir en blanc, le sujet n’en est pas innocent, et sa leçon a été bien apprise. Le passe-frontière commet, au nom de l’inutile, un beau crime d’écolier qui nous enseigne la fragilité des frontières. Vues du ciel, à vol d’oie ou de papillon — ou tracées en un pointillé sur une page — elles ont fort peu de substance. La nuée des monarques ou le V des oies en vol, symboles célestes, évoquent le flou et la bifurcation du possible, et nous rappellent que c’est notre destin terrestre que de devoir s’imaginer le ciel, et la pluralité des mondes.

De retour dans son atelier de Montréal, le passe-frontière se fait automaticien de récupération. Ventilateurs, cylindres de cristal, lampes halogènes et microfilament prêtent mouvement et illumination aux plumes, aux ailes et à la feuille ultime . Dans l’obscurité de la galerie, des hybrides apparaissent, demi-vivants qui défient l’inertie mortelle de leur matière. Les mots aussi sont une substance vivante : le souffle et l’âme — anima — partagent, aux origines de notre langue, la même racine. Le souffle nomme donc l’intuition d’une âme et il semblerait que l’artiste travaille au pied de la lettre.

Il devient souffleur en insufflant à ses matériaux morts son propre émerveillement vif, pour ainsi faire ressusciter en nous leur poésie naturelle. En s’en tenant à l’évidence vécue d’un mystère, et en la ramenant au plus près de nous, le souffleur emprunte notre substance pour démontrer qu’une oeuvre aussi peut être une vue du ciel.