Vernissage : Le samedi 14 janvier de 15 h à 17 h
Erika Dueck : Divided Proximities
Art Mûr, Montréal (QC)
Texte d’Anaïs Castro
Le succès d’un magicien tient en sa capacité à contrôler l’attention du spectateur afin de rendre invisibles les ruses de l’illusion. En ce sens, le travail d’Erika Dueck est bien à l’opposé de la prestidigitation, puisque d’emblée, l’artiste livre tout au spectateur. Au premier regard, on ne peut pas être charmé par ses sculptures. Elles se présentent d’abord comme ensembles de foamcore, de papier collant et de lumières d’appoint dont les fils pendent grossièrement dans le vide. Il est rare que de matériaux si bruts soient exposés dans l’espace de la galerie. Ainsi, elles apparaissent en premier comme des pièces en devenir ou, disposées ensemble dans l’espace de la galerie, comme un chantier d’exposition. Un public impatient ou insouciant pourrait aisément passer à côté de l’émerveillement qu’est l’expérience du travail de Dueck. Puisqu’à celui qui veut bien s’y attarder, Dueck renverse le monde : elle déjoue la perspective, rend horizontale la verticalité (et vice versa), étend les espaces intérieurs au-delà des limites des objets qui les contiennent. Habile illusionniste, son travail fascine, il surprend, même. C’est dans un rapport de séduction visuel que la magie de l’œuvre s’opère. D’ailleurs, chaque pièce revendique la présence du spectateur, puisque sans son œil trompé, elle n’est qu’un assemblage incomplet de matériaux ennuyeux.
De part son utilisation de la miniature, il y a dans le travail de Dueck un lien avec le monde du jouet. Le jeu du faux-semblant fait partie du développement social et intellectuel des enfants. C’est à travers leur implication volontaire dans le monde chimérique qu’ils se développent en tant qu’êtres humains. Les enfants savent que le jeu est imaginaire et acceptent sa facticité, parce qu’en retour il leur donne accès à monde plus large que leur environnement immédiat, un monde dans lequel ils peuvent laisser libre cours à leur créativité. C’est dans un univers semblable que Dueck nous projette à travers son œuvre. Les espaces intérieurs qu’elle propose sont comme des décors de théâtre dans lesquels notre imagination peut s’abandonner. D’ailleurs, ceux-ci ne contiennent jamais de personnages, permettant à la personne qui regarde de s’y projeter seule. Néanmoins, dans ces espaces abandonnés, Dueck à l’habitude de nous laisser l’indice d’une présence humaine révolue : le désordre, la construction, la contamination, l’incendie donnent le ton et le caractère de chacune des saynètes.
Dans son plus récent documentaire intitulé HyperNormalisation, Adam Curtis explore comment les technologies de communication actuelles sont parvenues à médiatiser le monde au point de manipuler le concept même du réel. Ainsi, selon Curtis, le public vivrait dans un monde incrédule dans lequel la réalité est une notion fluide, instable et bien souvent déformée. Si dans la dystopie que décrit Curtis, le public est devenu servile, le travail d’Erika Dueck se veut à la fois le produit et le remède du monde dépeint dans HyperNomalisation. Il force un second et même troisième regard et encourage l’esprit de discernement. Entrer en contact avec le travail d’Erika Dueck, c’est chercher à démystifier une illusion, sans jamais se défaire du merveilleux des phénomènes d’optique qu’elle manipule avec aisance. Son travail existe dans un univers dans lequel le savoir n’invalide en rien l’émerveillement, il l’élève plus haut, même.