Texte de Katrie Chagnon
Si s’entrelacent nature et culture – naturel et artificiel – dans le travail sculptural de Shayne Dark, le recours à une géométrie primaire en est l’impulsion première. Occupant le sol et les cimaises de la galerie, sphères, cônes et configurations angulaires tissent un espace hybride au sein duquel les affects du spectateur sont sollicités. Car les formes géométriques n’ont pas chez Dark la neutralité des sculptures minimalistes des années soixante; leur pouvoir d’évocation se loge dans la corrélation singulière qu’elles établissent entre plasticité et « organicité », entre forme et mouvement, entre espace et temps. Transitoires, ces figures à connotations naturelles semblent fixées dans le moment fort de l’évolution qui les voit naître et disparaître.
La notion de processus est d’ailleurs centrale dans le travail de l’artiste. Attentif au cycle de croissance et de détérioration des éléments vivants, il reproduit ce processus naturel dans l’acte physique de la création artistique. Les installations sculpturales de la série Habitat , dont certaines sont présentées ici, résultent d’un geste d’accumulation et d’assemblage contingents à l’espace et à la durée de l’exposition. Les branches d’arbres, collectées dans la nature et peintes de couleurs vives, sont, dans la galerie, disposées une à une pour construire la forme, laquelle se voit par la suite déconstruite, le tout participant de l’évolution de l’oeuvre où s’ancrent l’éphémère et le fragmentaire. À la fois éclosions organiques et figures de ruines, les oeuvres exposées portent l’allégorie d’un monde en constante mutation.
Or, tout en privilégiant un mode provisoire d’installation, Dark fige les matières qu’il emploie au moyen de pigments chromatiques qui leur confère une certaine pérennité. En contraste fort avec la naturalité des matériaux, les couleurs primaires vives les transforment et rendent leur identité incertaine. S’agit-il de vraies branches? Serait-ce plutôt des matériaux synthétiques? Cette ambiguïté avec laquelle joue l’artiste introduit une dimension ludique qui, au sein du discours sur la rencontre entre l’homme et la nature, évacue toute posture dénonciatrice des effets néfastes de l’homme sur l’environnement. Dark cherche plutôt à traduire une forme de réconciliation entre ces deux pôles par le recours aux formes et aux couleurs primaires. Toutefois, loin d’un formalisme rigide, les oeuvres se laissent appréhender avec surprise et lyrisme. Le regardant entre en relation avec des formes à la fois physiques et évanescentes qui déclenchent des expériences complexes et introspectives, voire spirituelles ou viscérales.
Artiste de réputation internationale, Shayne Dark a participé à de nombreuses expositions au Canada et aux États-Unis depuis ses débuts dans les années quatre-vingt. Représenté conjointement par la galerie Art Mûr et la Edward Day Gallery de Toronto, il poursuit une démarche originale de la sculpture à travers des préoccupations pour l’ensemble du processus de création.