Le corpus que Shayne Dark présente sous le titre Forged Landscape comprend une vingtaine de sculptures qui se jouent de leur propre plausibilité. Alors que ces compositions évoquent des formes que l’on retrouve dans la nature, tant leur facture que leurs couleurs insistent sur leur statut en tant qu’œuvres d’art.
En recréant à sa manière la nature dans l’espace de la galerie, Dark se substitue aux forces de la terre et invite le spectateur à entrer dans un environnement singulier. L’expérience de ces œuvres est d’abord de l’ordre de la découverte spontanée et instinctive. D’une hauteur semblable ou plus grande qu’une personne, à l’instar de la flore forestière, ses œuvres sont en relation directe avec le corps du visiteur. Celui-ci doit dès lors entrer dans un dialogue physique et sensible avec des sculptures aux formes organiques.
C’est ensuite leur matérialité, leur apparence qui intrigue. Ces rameaux, entrelacements et autres configurations inspirés par le monde végétal arborent, sur leur surface, des couleurs saturées au fini lisse et brillant. La peinture a pour effet de camoufler la structure en acier que l’artiste a forgée et, par conséquent, de contenir le travail de conception et de réalisation inhérent à chacune des œuvres. En raison de la méthode d’application de la peinture en poudre, le spectateur ne peut voir les traces, les gestes du sculpteur et du peintre — contrairement aux processus naturels, qui laissent toujours derrière eux les marques de leur passage et donc les couches du temps. Cette pigmentation, qui se démarque par son caractère industriel et contemporain, distancie l’objet de son contexte de création et de présentation; elle inscrit de la sorte l’objet dans un espace-temps à la fois ludique, étrange et surréel.
En mettant à l’épreuve l’étanchéité du cube blanc et le vocabulaire de la sculpture du 20e siècle, les œuvres de Shayne Dark incarnent leur postmodernité. Le rapport au « land art », qui utilise la nature tant comme matériau que lieu d’exposition, s’impose. Cette pratique est ici détournée par l’artiste qui en propose une formulation « artificielle », en ce sens que les œuvres sont entièrement faites de main d’homme. De son côté, l’utilisation de la couleur vibrante pourrait être tirée de l’univers du pop art qui, puisant dans la culture populaire et le monde de la consommation, est toutefois en opposition avec l’esprit du « land art ».
Shayne Dark articule diverses tensions entre nature et culture. Il nous suggère ainsi qu’il est nécessaire que cette relation soit aujourd’hui repensée.