Vernissage : Le samedi 13 septembre 2025 de 15h à 17h
Laurent Lamarche & Kevin Dubeau : Nochronie
Texte par Galadriel Avon
Les seuils du temps-obstacle : chez Lamarche et Dubeau, croiser l’usiné et le fait-main pour faire face à l’inconnu
Dans Nochronie, une volonté commune d’explorer les zones de vulnérabilité de l’humain face aux forces contraires qui le traversent, le façonnent et lui échappent motive les artistes Laurent Lamarche et Kevin Dubeau à entretenir une collaboration étroite en atelier. Si des affinités entre leurs pratiques respectives sont évidentes, leurs expérimentations à quatre mains font émerger des pièces hybrides qui poussent à revisiter la manière dont on fabrique habituellement les récits, soulignant à grands traits leur intérêt mitoyen pour les systèmes de narration et les mutations de notre monde actuel.
Lamarche et Dubeau n’offrent pas de réponses simples. Ils se tournent plutôt vers des stratégies plurielles pour repenser la fragilité des liens entre la nature et la technologie, puis entre une mémoire du passé et un avenir spéculé. Leur travail en duo, qui croise des approches médiatiques (modélisation 3D, réalité virtuelle et imagerie numérique) et plastiques (sculpture, installation), interroge le fil invisible qui relie le tangible à l’immatériel et le réel à l’imaginaire. Les technologies invitées, souvent imaginées à tort comme des prolongements détachés et rompus du geste humain, sont ici investies en tant que langages vivants, porteurs de sens, menant aussi bien à une forme de contemplation qu’à des questionnements essentiels, existentiels. L’aluminium, matériau industriel et froid, devient par l’activation des artistes une matière vibrante à mi-chemin entre le minéral et l’organique; puis les sculptures ainsi formées, loin d’être inertes, deviennent des corps qui captent tels des antennes ce qui les entoure, invitant par rebond à l’introspection et à la projection.
Ainsi les monolithes métalliques s’élèvent, verticaux et imposants, mais aussi fragiles, comme des signes suspendus entre ciel et terre. Ils sont les témoins d’un monde saturé de bruits et d’images, et permettent, à l’abri du reste, une respiration. Faisant appel à sa manière de traverser les âges et d’agir comme marqueur de l’histoire, les artistes se servent ici du monolithe pour mettre au jour toutes ses tensions discursives, qui s’agitent souvent dans l’invisible. Ces formes statiques, cependant mobiles bien plus qu’immobiles, portent les traces d’une archéologie inachevée ou d’un futur révolu, toujours oscillant dans cette intemporalité narrative et cette chronologie anti linéaire mises en œuvre par Lamarche et Dubeau. Où l’on devine des empreintes, une mémoire fragmentée surgit; où des signes énigmatiques échappent à la vue, une archive est oubliée. Ces circuits laissent place à l’imaginaire, invitant une histoire en suspens à tracer elle-même ses propres repères.
Accompagnant cette méditation, des photographies en noir et blanc réenvisagent les sculptures. Leurs gris, toutes nuances, jouent d’ombres et de lumières. Presque spectrales, les images montrent des silhouettes figées dans un paysage hors du temps, chaque forme comme le reflet d’un monde en attente. Avenir à redéfinir ou passé à ressusciter : les monolithes deviennent autant de lieux d’écoute, de témoins discrets d’une transformation en cours, de seuils où les résistances intérieures – celles de la matière tout comme les nôtres – adoptent de nouveaux visages. À force de les côtoyer en galerie, ces petits monuments regagnent l’horizon d’un « temps-obstacle », tel que le veut le néologisme du titre appelé par les deux artistes, puis font le vœu d’un retour à l’équilibre, même si tout peut basculer à tout moment. Et dans cette suspension, tout est encore possible.
