C’est par milliers que migrent chaque année de jeunes Chinois, cherchant à échanger les conditions souvent misérables de la campagne pour le quotidien des cités-usines à la Shenzen. À raison de 16-17 heures par jour, leur labeur alimente un Occident en soif de consommation.
Dans les usines-dortoirs qui forment l’essentiel du paysage d’une ville comme Shenzhen, les ouvriers ne font pas que travailler; ils y mangent, y dorment, y vivent. 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 et, plus souvent qu’autrement, 365 jours par année. Dans ces manufactures qui sont aussi leurs maisons, des produits sortent par milliers : des réveil matins électroniques aux pyjamas zébrés, des téléphones jouets aux téléphones cellulaires.
Avec son installation All you can eat, Karine Giboulo crée une manufacture alliant cette réalité à un imaginaire débridé. Dans sa manufacture à elle, le maillon premier de la chaîne de production est un élevage de cochons ailés et le produit fini, des côtes levées et des ailes, non pas de poulets, mais de cochons volants. Devant l’intriguant bâtiment, le spectateur scrute à travers les fenêtres pour y découvrir une série de salles et de scènes où l’on peut voir les employés au travail, mais aussi (et surtout, puisqu’il s’agit de la face cachée des usines chinoises) mangeant à la cafétéria, se reposant dans leurs dortoirs, s’aimant au clair de lune…
L’humour et le sérieux du sujet se côtoient et se croisent à travers les scènes finement sculptées. Le consumérisme éhonté, personnifié par les marmottes qui s’empiffrent à en devenir malades, est “comblé” (peut-t-il vraiment l’être?) via des capacité économiques “inégalables” comme celles de la Chine, avec ses millions de travailleurs “bon marché”.
Après avoir été en contact avec eux, Karine Giboulo veut faire en sorte que nous puissions rattacher un visage, une personne, une âme à cette armée invisible de travailleurs qui produisent une grande part des biens qui fondent notre quotidien, mais dont on connaît si peu. Cette jeunesse chinoise, qui vit et travaille dans ces complexes usiniers en vue de nous fournir “all we can eat” au plus bas prix et pour un maximum de profits, Giboulo souhaite simplement leur rendre hommage.
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Karine Giboulo a visité la ville de Shenzhen en décembre 2007. S’improvisant femme d’affaires, elle a pu visiter une manufacture de téléphones cellulaires, salles de travail, cafétéria et dortoirs inclus. “Dans la voiture, avant d’arriver à l’usine, j’étais bouche bée devant le nombre de ces complexes manufacturiers qui défilaient, kilomètre après kilomètre. Dans certains cas, les bâtiments affichaient chacun leur couleur : vert, jaune, rose, etc.; je les imaginais peuplés de travailleurs vêtis de cette couleur, tels les membres d’une même équipe sportive. À mes yeux, les complexes avaient quelque chose du camp de concentration et, bien que les employés n’y soient pas prisonniers, leurs conditions de travail sont plus souvent qu’autrement difficiles, parfois même dangereuses, sans parler de leur infime salaire et leurs conditions de vie “de base”. Les manufactures ne sont pas uniquement leur lieu de travail; elles sont le lieu de toutes les facettes de leur vie et malgré tout, je les ai vus rire, jouer au soccer et faire du vélo. J’ai vu de jeunes couples d’amoureux marchant main dans la main.”