Vernissage : Le samedi 8 septembre 2018 de 15 h à 17 h
Judith Berry : Les vies qu’on façonne
Art Mûr, Montréal (QC)
Texte d’Amélie Rondeau
Judith Berry est une artiste peintre qui insuffle une contemporanéité à la tradition du paysage. En jouant avec la représentation et l’illusion que permet le médium de la peinture, elle explore l’acuité visuelle et la perception haptique. Les perspectives semi-aériennes de ces territoires sont la signature visuelle de Berry.
Pour cette exposition Les vies qu’on façonne, Berry expose plusieurs de ses plus récentes peintures à l’huile. Les étonnants paysages qu’elle met en scène incitent à la contemplation, puisque ces territoires familiers sont empreints d’un aspect irréel. Les teintes terreuses, verdâtres, juxtaposant des tons sur tons et les formes sinueuses et organiques nous confortent dans l’illusion d’un paysage bucolique naturel. Cependant, un second regard plus attentif nous révèle plutôt un environnement contrôlé dans sa croissance selon le désir humain. La composition de ces paysages pittoresques évoque la tradition des jardins à l’anglaise, marquée par le désir d’entretenir la végétation uniquement par l’émancipation du caractère sauvage, poétique et sublime de la nature. Ce panorama semble donc empreint d’une douce atmosphère onirique où les répétitions et les nombreuses oscillations déstabilisent notre compréhension. Celui-ci, présenté d’un point de vue éloigné et généralement en plongée, crée un effet de distanciation avec le spectateur. Cette perspective tend à souligner le caractère spectaculaire et grandiose de l’horizon. L’opulence végétale fourmillante évoque tacitement une allégorie sur les caractéristiques nourricières de la Nature, comme représentation anthropomorphique, et par le fait même du don de la vie. Cette richesse cadrée dans cet environnement foisonnant de mouvements organiques semble vibrer frénétiquement.
La récurrence des figures et la répétition de leur forme ne sont pas sans rappeler toutefois une chaîne de production mécanique et industrielle, soit l’antithèse ultime de l’incarnation naturelle. Cette ambiguïté souligne le caractère abstrait de la représentation visible par les formes sinueuses et le rythme dynamique de la composition. La conception d’une production en chaîne répétitive se transfère également au rôle créateur de l’artiste, à celui qui a la capacité de façonner toute chose selon son gré et qui, pour ce faire, doit réaliser d’innombrables tâches répétitives, ici souligné par la répétition de formes abstraites. Cet enchevêtrement de figures éparses brouille d’autant plus notre compréhension de l’échelle. Elle semble pouvoir représenter à la fois un environnement monumental et microscopique. Ces territoires semblent troublés par une instabilité savamment calculée qui devient le lieu d’une inquiétante étrangeté.
Ces mondes, où les perspectives se brouillent avec les successions de formes, s’entortillent et présentent un complexe compilation de topographies éparses. L’exposition Les vies qu’on façonne est en soi une analogie entre le rôle créateur de l’artiste face à ses œuvres et la vie qui prend toujours le dessus sur diverses formes d’organismes vivants. Les œuvres de Berry ont en commun la représentation d’un monde inconnu et sauvage. Celles-ci méritent d’être observées au cours d’une longue contemplation méditative. Tendez l’oreille et vous entendrez ce territoire croître progressivement et continuellement comme un seul et même organisme. La vie fera son chemin, même si vous n’y portez pas attention.