Au fur et à mesure

Du 13 janvier au 24 février 2024
Vernissage : Le samedi 13 janvier 2024 de 15 h à 17 h
Ginette Legaré : Au fur et à mesure

Texte de Béatrice Larochelle

Ginette Legaré a comme matière de travail ce qui au premier abord semble banal; des objets ordinaires qui ont été laissés derrière. À la fois glaneuse et bricoleuse, l’artiste torontoise a développé une pratique sculpturale de récupération et d’assemblage. Elle porte un intérêt marqué pour les gestes et le matériel de notre quotidien, nos routines comme nos modes de consommation. L’exposition Au fur et à mesure présente une sélection d’œuvres récentes de l’artiste. Celles-ci se placent dans la continuité de la pratique antérieure de Legaré, qui abordait les notions d’outils, d’ustensiles et de cadres. Toujours sensible à ces enjeux, l’artiste opère un processus créatif influencé par sa curiosité pour les choses qui l’entourent et pour leur potentiel polysémique. C’est en déconstruisant l’objet pour le réassembler ensuite qu’elle réajuste notre lentille et notre regard.

Ginette Legaré aborde implicitement la question du langage. Le travail s’active autour de mots, d’espaces et de titres qui suggèrent de nouvelles lectures de ces fragments de choses, rendant plus floues leurs définitions et leurs intentions. À la manière d’un cadavre exquis, elle juxtapose et entrelace ses trésors déchus : un support en métal pour la tête, une fourchette en bambou pour le cou, une sangle à bungee pour le corps et une patte de meuble en bois pour les pieds. En résulte alors une forme inédite, un volume incongru au sens reconfiguré. L’utilité de ses composantes étant renversée et expirée, pouvons-nous y trouver une seconde utilité? Cette construction prendra-t-elle le statut d’œuvre d’art, exposée et intouchable, ou réinvestira-t-elle notre quotidien?

Loin du maximalisme que pourrait engendrer ces collectes de rebus, les œuvres présentées dans Au fur et à mesure dégagent plutôt une esthétique épurée et cohérente, reprenant souvent les mêmes tons ou des matériaux similaires de l’une à l’autre. Qu’elles soient suspendues ou reposant au sol, elles produisent une impression générale de flottement, défiant parfois la gravité. Leur équilibre paraît précaire, comme ces , empilées les unes sur les autres à la manière d’un jeu de Jenga. Il semblerait que si l’une tombe, les autres suivront.

Dominant le point focal de la pièce, l’œuvre Délictuelles se déploie sur la longueur. Ses silhouettes métalliques rappellent celles des mannequins de couturières – alignés au mur comme le feraient des suspects à identifier. Quel délit auraient pu commettre ces fantômes de fer?

Ginette Legaré nous amène à remettre en question notre réalité matérielle telle que nous la connaissons. En utilisant l’objet même comme sujet, elle nous confronte à nos propres affects, référents et savoirs, mettant en relief nos construits sociaux et ce qui nous y rattache. Elle nous ouvre également la porte à d’autres dimensions, d’autres univers où une ceinture deviendrait un théorème mathématique et qu’une cuillère de bois pourrait faire office de note de musique.

L’artiste tient à remercier le Conseil des arts de l’Ontario pour son soutien.