Eric Lamontagne : Road Paintings
Texte de Paule Mackrous
Somewhere along the line I knew there’d be girls, visions, everything; somewhere along the line the pearl would be handed to me.
Jack Kerouac, On the Road.
On est au beau milieu de la route. En périphérie, d’innombrables tableaux se profilent. Ils sont ponctués de couleurs fluorescentes : celles que l’on retrouve sur les panneaux de signalisation. Certains seront peints, d’autres non. C’est peut-être à cela que ressemble le roadtrip d’un peintre comme Éric Lamontagne. Au volant d’une voiture, il parcourt le Québec et saisit quelques parcelles de l’imaginaire de la province. Celui des rives désertées des Îles de la Madeleine, de l’Île Verte, du Bic, de Percé ou encore de Sorel. Mais aussi celui de la glace, de la neige, des variétés de roche et des multiples couleurs du fleuve Saint-Laurent. L’artiste voyage, trouve un lieu, l’habite, le photographie et en fait un tableau.
Le cliché photographique représente le début d’une seconde aventure. L’artiste quitte la route pour entrer dans l’atelier. L’image numérique est d’abord modifiée dans le logiciel Photoshop. Les libres manipulations (les filtres, par exemple) s’intègrent ensuite au processus de la création picturale. Par un transfert acrylique , l’image numérique modifiée devient le canevas d’une peinture à naître. Éric Lamontagne opère ce que Nicolas Bourriaud appelle une « délocalisation ». Par celle-ci, « L’art fait prendre conscience des modes de production produits par les techniques de son temps […] en déplaçant ceux-ci, il les rend davantage visibles, nous permettant de les envisager jusque dans leurs conséquences sur la vie quotidienne ». L’instantanéité de la captation photographique est ainsi mise en doute par un travail minutieux du détail pictural. L’aspect mécanisé de la retouche numérique est quant à lui revisité par la sensibilité d’un peintre et sa réflexion sur une nature en constante mutation.
On regarde un paysage, mais on se rend sur les lieux. Le paysage implique une certaine forme de distanciation, alors que les lieux sont investis de sensations, d’actions et d’imagination. Pour restituer cette mobilisation nécessaire du corps vers le lieu, Éric Lamontagne a littéralement recréé la route. Celle-ci se déploie à partir d’un tableau pour rejoindre le mur opposé de la salle d’exposition. Les tableaux qui la bordent révèlent que la voiture s’immobilise là où la nature exerce son attrait. Cette nature est parfois dépeinte dans un réalisme déconcertant. D’autres fois, elle apparaît dans ses improbabilités formelles les plus imaginatives. Ces deux aspects se côtoient dans des tableaux qui ne dissimulent jamais leur artifice. Traces de pinceaux, dripping, couches successives de peinture et pans de toile vierge : autant d’éléments expressionnistes qui font basculer le « ça a été » photographique vers l’actualité de la peinture. Et dans celle-ci, on peut séjourner longuement.
1.Jack Kerouac (1976), On the Road, NewYork, Penguin Books, p.21.
2. Procédé permettant d’incorporer la couche d’encre d’une photographie sur une toile.
3. Nicolas Bourriaud (2003), L’esthétique relationnelle, Paris, Les Presses du réel, p.69.