Texte de Marie-Ève Beaupré
Saisissantes, les photographies de Diana Thorneycroft jugulent toute possible attitude romantique devant les symboles de la quintessence canadienne. Les lieux pittoresques du pays accueillent désormais les accessoires d’un théâtre des horreurs où les icônes d’une identité nationale sont pendues sur la place publique. Et l’apathie des témoins de la scène estomaque. Sous de funestes ciels percés de faisceaux de lumières dramatiques se déroulent des épisodes teintés d’humour noir où le corps est à la fois le sujet réfléchi et torturé.
Les oeuvres regroupées sous The Canadiana Martyrdom Series métissent habilement les conventions du paysage, de la scène de genre et de la nature morte. Les maquettes conçues puis photographiées par Diana Thorneycroft se présentent comme autant d’énigmes à résoudre. Les détails de son imagerie angoissée déroutent le regardant qui, ambivalent, reconnaît les figurines ligotées et constate leurs mésaventures, à mille lieues des récits d’enfants. Alors que se produisent les autodafés, écartèlements, lapidations et crucifiements, l’auditoire composé d’effigies d’animaux nordiques, de gendarmes, de plaisanciers ou d’ouvriers semble impassible devant les châtiments des damnés. Évoquent-ils l’homme devant les spectacles quotidiens de violence? Les photographies de l’artiste reproduisent l’acte de l’exécution sous des allures plastiques et artificielles, mais la violence est-elle pour autant désamorcée? Dénonçant ainsi la popularisation du meurtre comme divertissement, ses scènes d’une inquiétante étrangeté présentent des niveaux de réalité perturbés, voire perturbants.
Cette série que l’artiste canadienne poursuit depuis quelques années aborde les fondements moraux d’une des pratiques qui caractérisent les sociétés humaines, soit la vénération de ses morts. Ses variations sur un même thème, celui du martyre canadien, se nourrissent du paradoxe que l’homme entretient avec les corps désincarnés, cultivant pour eux à la fois une peur, une fascination et une dévotion. Inspirée des martyres du christianisme, de leurs barbares exécutions, Diana Thorneycroft réactualise l’acte de supplicier et ses diverses représentations. En torturant ainsi les symboles de l’identité nationale, de la culture et de l’industrie canadiennes, les mythes associés à la nature ne relèvent plus d’une imagerie patriotique et romantique mais deviennent les lieux d’exploration de troublants états psychiques.