Texte de Dominique Allard
La plus récente série de photographies de Diana Thorneycroft se fond sur le pouvoir heuristique de la reconstitution historique. Mettant en scène des moments dramatiques de l’histoire populaire canadienne, ses œuvres s’inscrivent dans la lignée d’une tradition théâtrale de la photographie, tout en explicitant son caractère documentaire : employant figurines et autres jouets pour créer divers théâtres miniatures avant de les photographier, les œuvres représentent, au moyen de l’instantané, des crimes ayant marqué l’histoire récente et la mémoire populaire, tel le scandale de l’orphelinat Mount Cashel à Terre-Neuve.
Par l’usage de jouets, les œuvres de Thorneycroft mettent l’accent sur les procédés de mise en scène auxquels a déjà recourt la photographie à ses débuts en reconstituant des représentations picturales classiques afin de légitimer sa pratique – la théâtralité servant à la narrativité de la représentation, celle-ci permet de raconter toute une histoire en une seule image. Par ailleurs, la particularité du jouet est sa « valeur transformée » comme le note Giorgio Agamben : le jouet ayant relevé « autrefois, plus maintenant » de la sphère du sacré, « l’essence du jouet est alors quelque chose d’éminemment historique » . Son remploi dans les œuvres de Thorneycroft a donc une portée heuristique : miniaturisation d’objets ou de personnages réels, le jouet comme modèle réduit est ce par quoi l’enfant apprend à connaître le monde qui l’entoure et à faire la différence entre réalité et fiction. Ainsi, l’apparence a priori enfantine des œuvres de cette série a pour effet de renforcir la dimension critique de l’image : Quintland (2010) par exemple, qui fait écho à l’exploitation des jumelles Dionne, réitère un vocabulaire propre au photojournalisme où la mise en action de la scène, paraissant prise sur le vif, rappelle l’effet choc du pouvoir photographique de capter l’instantané. « Arrangées », les images qui au détriment d’un naturel mettent l’emphase sur l’artificialité de la scène permettent, d’une part, de remettre en question la fiabilité de la mémoire et la véracité de l’histoire, et d’autre part, de questionner le mythe du « fondamentalement bon Canada » comme l’exprime l’artiste.
La reconstitution d’évènements au moyen de figurines et de sa « documentation » par l’artiste, a pour efficacité le jeu de « faire semblant » qui, à l’Antiquité, a déjà pour fonction la « ritualisation de conflits réels » . Dès lors, les œuvres de ce corpus n’appelleraient pas autant à la réinscription des moments représentés dans la réalité, mais à la construction d’une image produisant ses propres effets et ouvrant vers de nouvelles hypothèses.
1. Giorgio Agamben, Enfance et histoire. Destruction de l’expérience et origine de l’histoire, trad. de l’italien par Yves Hersant, Paris, Payot & Rivages, 2002, p. 130.
2. Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Du Seuil, 1999, 346 p.