Vernissage : Le samedi 7 janvier 2023 de 15 h à 17 h
Clint Neufeld : All hat No cattle
Familier, étrange : l’art de Clint Neufeld
Texte d’Yann Martel
La première œuvre de Clint Neufeld que j’ai vue, c’était un énorme moteur de céramique rose et vert-lime, tellement gros qu’il était suspendu à sa propre grue. Le titre en anglais pourrait se traduire : Jimmy-qui-hurle, la première fois que nous nous sommes rencontrés dans le champ j’ai su que tu étais l’unique et l’ensemble occupait un coin de son atelier. Ça produisait le genre d’effet charismatique de certaines œuvres d’art qui saisissent votre regard et forcent votre esprit à tenter d’analyser ce qui lui arrive.
J’ai tout de suite été frappé par l’équilibre entre le familier et l’insolite. J’ai regardé et j’ai pensé : « C’est tellement gros que ça doit être le moteur d’un tracteur ou d’un camion ». C’est bien évident que ce n’était pas un moteur. Tout comme le tableau de Magritte Ceci n’est pas une pipe – puisque c’est une pipe en peinture – le moteur de Neufeld était l’imitation d’un moteur, une chose à laquelle on n’attribue habituellement pas de beauté, mais qui ici, sorti de son atelier crasseux, nettoyé, reproduit, coloré et glacé, rendu tout à fait splendide, est terriblement beau.
Un formidable souvenir m’est revenu à l’esprit : lors d’un voyage en Iran, je suis arrivé à une énorme centrale électrique sur la rive de la mer Caspienne – un complexe colossal, vieux et usé, tout à fait utilitaire, nourri inlassablement d’huile iranienne pas cher – et j’ai pensé « Wow! Quelle beauté! ». À la manière qu’avaient eu le temps et l’humidité de marquer de rouille les parties métalliques et de la façon que les parties peintes avaient émaillé et pâli, et que l’ensemble n’avait d’autre but que de fonctionner sans avoir d’apparence, le tout ne semblait pas tant industriel qu’organique, une créature vivante blottie sur la côte et surprise de voir apparaitre un routard canadien.
C’est de cette façon que j’ai réagi au travail de Neufeld, comparable à l’affirmation, à la Duchamp, Ceci est de l’art, lançant tout un dialogue dans mon esprit. La méthode de Neufeld est bien claire, avec ses répétitions et ses variantes au cours des dernières années. Une chose supposément laide, traditionnellement masculine et utilitaire, est reproduite en céramique, un matériau tout particulièrement beau, délicat. Et en plus, c’est recouvert d’une glaçure de douces couleurs pastel. Et plus encore, c’est décoré de motifs floraux. Et parfois plus encore : les fleurs sont en relief, comme si elles poussaient à partir des pièces de l’engin, ou tout autour. Puis tout cela est retiré de son milieu extérieur habituel et amené à l’intérieur, dans un espace domestique, là où on pourrait le déposer sur un fauteuil ou un plateau ou une grande assiette, tous des objets empruntés au confort tranquille ou qui l’imitent.
Que penser donc de ce brassage de ce qui est brutal avec ce qui est raffiné? Le dur et le mou? L’utile et l’inutile? Chacun suivra son propre sentier. Je ne cherche pas de réponse. Je poursuis simplement mon petit chemin en me balançant entre ce que je sais et ce que je ne sais pas, hésitant entre ce qui est beau et ce qui est laid, ce qui est masculin et ce qui est féminin, ce qui est fonctionnel et ce qui ne l’est pas, entre l’extérieur et l’intérieur. Finalement, c’est-ce qui m’arrive, j’ai un petit vertige, espérant être à la fois le moteur et la fleur, utile et inutile, aussi plein de vie qu’une centrale électrique.