Texte de Catherine Barnabé
Cal Lane se joue de contradictions, espérant ainsi créer un équilibre entre des mondes lointains. Elle se permet de mettre en opposition des motifs délicats et des matériaux lourds et bruts, voulant susciter des réactions spontanées par ces relations inespérées plutôt qu’une compréhension réfléchie de l’œuvre. Travaillant la sculpture et la soudure, l’artiste canadienne réinterprète des motifs traditionnels, détourne des objets du quotidien et actualise des images inscrites dans l’histoire.
Ses œuvres précédentes touchaient plutôt aux contrastes visuels; de la délicatesse du motif de la dentelle versus la rudesse d’une pelle, d’une porte de voiture ou d’une colonne de fer, de l’aspect éminemment féminin de la précision des détails au côté masculin des outils. Découpant des motifs traditionnels de dentelle au crochet à même des morceaux de métal, l’artiste originaire d’Halifax impose un questionnement aux spectateurs sur la nature de l’œuvre; la découpe étant si parfaite que l’on croirait presque en une véritable pièce de dentelle. Elle détourne les fonctions des objets, rendant ces derniers complètement inutilisables, court-circuitant leur destinée pour les projeter dans le monde de l’art. L’artisanat traditionnel s’impose à un art contemporain qui, bien loin de lui, le réactualise par la simple contradiction des idées.
Avec la série Sweet Crude, des barils de pétrole éventrés se trouvent au mur et sont transfigurés en cartes géographiques, arborant des détails et des motifs étrangers à leur nature. Les oppositions s’y mêlent : cartographie et figures humaines, quadrillages et dentelles formant une tapisserie monochrome. Les extrémités des barils présentent les pôles de la terre, le centre en aplat fait figure de carte géographique faisant correspondre la forme au sujet, alors que les contours présentent des figures différentes qui chacune porte vers une interprétation dans une répétition du modèle s’imposant comme tant de versions du monde contemporain. D’autres pièces posées au sol sont plus près de la sculpture traditionnelle et permettent une exploitation de l’espace d’exposition.
Le discours résolument plus politique de cette dernière série est mis en place par l’utilisation de barils et de bidons de pétrole qui sont l’unique matière des sculptures. La relation entre le Moyen-Orient et l’Amérique érigée par le pétrole est utilisée par l’artiste, qui la détourne vers un dessein critique en y confrontant des représentations d’icônes religieuses, de scènes érotiques ou d’images de la vie quotidienne. Mettant à l’avant scène ces contrastes, Lane se prononce sur la situation actuelle de la politique étrangère dans laquelle elle voit une absurdité certaine, un non-sens.