Phantom Pain

Du 13 septembre au 1 novembre 2025
Vernissage : Le samedi 13 septembre 2025 de 15h à 17h
Brandon Vickerd : Phantom Pain

Texte par Élie Dimijian

Phantom Limb (‘membre fantôme’) désigne la sensation ou la douleur persistante d’un membre, bien que celui-ci ne soit plus là. Cette sensation corporelle peut aussi dénoter métaphoriquement le désir de retrouver un passé, une histoire, qui fut, mais qui n’est plus. L’artiste Brandon Vickerd déploie dans Phantom Limb un vocabulaire sculptural articulé sur la juxtaposition, la contradiction, le jeu, et la tendresse, pour toucher à différentes sortes de membres fantômes. Le spectre des grands monuments et mémorialisations de l’histoire Occidentale, des futurs promis, mais jamais exaucés, sont mis en rapport avec une modernité contemporaine et décevante, et la nature, perpétuelle mais subjuguée.

Vickerd utilise le bronze, l’acier, le fer avec conscience de leur connotations traditionnelles dans le patrimoine culturel Occidental. Le bronze, par exemple, vient avec une aura des monuments construit grâce à lui. Avec Marx (Bubblewrap) et Columbus (Bubblewrap), la transmission de l’autorité et l’intemporalité des bustes et des figures des “grands hommes” de l’histoire est brouillé par l’un des outils-ordures de la modernité contemporaine, un emballage à bulles. Ainsi, le passé est aussi hanté par le spectre du présent que l’inverse.

Une figure d’animal dormant sur une bombe se retrouve à différentes échelles dans Project 569 (Phantom Pain) et Little Boy. Ces projets frères dépeignent une contradiction acerbe entre la brutalité de la machine de guerre moderne et la tendre vulnérabilité d’un animal recroquevillé, inconscient du danger sur lequel il repose. Little Boy (‘petit garçon’) pousse cette contradiction avec un jeu sur l’identité précise du petit garçon titulaire. Little Boy correspond au nom donné à la bombe atomique larguée sur Hiroshima en août 1945, mais correspondrait tout aussi bien à un tendre surnom pour un chat somnolent dans notre propre sphère domestique. L’esthétique des bombes de l’ère spatiale, reconnaissable pour leur association avec l’ère du progrès, de la paix relative, et de la prospérité qui a suivi la deuxième guerre mondiale se conjugue avec des animaux tout aussi reconnaissables, car ils partagent nos espaces urbains, souvent nos espaces privés.

À travers ses sculptures l’artiste met en évidence les promesses brisées faites au long du l’histoire moderne de l’Occident. La promesse de l’avenir parfait obtenu par la prochaine grande invention, grande découverte, ou grand dirigeant est gentiment secouée au cou par l’emploi de juxtapositions ironiques, tendres, ou totalement surréalistes, tel que le Turkey Hammer. Un marteau, composé d’un manche en bois de noyer et de deux têtes de dindes, tête-bêche, en bronze, il pourrait incarner l’orgueil moderne que Vickerd tente de mettre en relief dans Phantom Limb. Comme outil, il possède une capacité aussi constructrice que destructrice; comme objet de curiosité, le marteau-dinde se suffit à lui-même. Il aurait pu contribuer à aux bombes de guerre moderne que Vickerd a reconstruites, comme à ses formes animalières vulnérables. C’est un objet de potentialités. Mais, si ses potentialités étaient mises dans le cadre de la croissance et de l’amélioration continue de la modernité que Vickerd présente, ce serait des potentialités vouées à décevoir.