Vernissage : Le samedi 4 mars 2023 de 15h à 17h
Hédy Gobaa : (Géoportait) Naître personne
Texte de Hédy Gobaa
J’ai envisagé pour cette exposition de retrouver la cohérence d’une vie partagée entre différentes géographies de la Tunisie au Canada. Entremêlant les imageries d’ici et de là-bas, je me demande ce qui au fond de nous fait cité ? Est-ce nous qui occupons des lieux ou plutôt eux qui nous occupent ? Le titre Géoportrait contracte les mots « géographie » et « autoportrait », car peut-être, ce qui nous définit le plus réside dans la structure que bâtissent les espaces-lieux en nous.
Le thème de cette exposition provient également de ce va-et-vient entre le sentiment d’être le multiple d’une foule d’identités confondues, mais aussi de n’être jamais personne, comme si mon corps était un manteau dissimulant des courants contraires. Habitant toujours ailleurs, j’ai dû successivement renaître et disparaître. Il y a dans l’expérience de la migration, quel que soit l’âge, le passé, autant de renaissances que de perte de soi.
En juxtaposant les peintures de trois séries (L’envers étroit de la distance, Habiter, Mille nuits) l’exposition évoque soudainement peut-être encore l’immigration, mais surtout les destinées humaines, la complexité politique du monde, la réalité des différences, l’impossible appropriation du territoire. Elle cherche à dresser le portrait d’un monde contemporain où la figure humaine est absente, mais qu’on saisit dans sa volonté d’habiter, d’imaginer, de situer.
Les peintures de la série L’envers étroit de la distance ont été créées à partir de photomontages hyperréalistes associant des fragments de paysages de Tunisie et du Québec. L’occident y est représenté par des références comme un vraquier (bateau transporteur du Saint-Laurent), un chalet, la neige, et cela se greffe par exemple aux végétations du Sud tunisien, au désert. La folle puissance occidentale bouleverse le monde socialement, économiquement, écologiquement, et parfois le détruit. Je tenais à faire le constat de cet échec.
La série Habiter est, quant à elle, liée à l’extension urbaine de Tunis qui progresse toujours vers des espaces un peu sauvages et abandonnés. La série aborde l’idée de la transformation de terrains inoccupés en lieux déterminés et normés. C’est une métaphore de l’effort de domestication auquel j’ai été confronté en arrivant au Canada, mais également d’un dialogue entre le soi et l’ailleurs, entre l’être et l’angoisse du vide.
Enfin, la série Mille nuits évoquait le présent politique du monde arabe. Elle proposait une lecture poétique de la situation des gens vivant sur place, indiquant des inquiétudes, mais aussi l’instinct de résilience et de joie. Pour cela, les peintures s’appuient sur une iconographie évocatrice : le tractopelle qui détruit sans ne jamais rien finir ; les chiens et chats errants, compagnons résilients ; le lion, la figure de la domination arbitraire ; les mosaïques des espaces publics et privés ; la tête de bœuf, animal consommé ou sacrifié religieusement, symbole pour moi de la révolution arabe.