Ammunition

Texte de Geneviève Lafleur

Pour sa première exposition à Art Mûr en 2007, Cal Lane a travaillé des carcasses d’automobiles, symboles du rêve américain et de la consommation de masse grâce à l’assemblage en chaîne qui permit la commercialisation de la Ford T en 1908. En 2009, Lane a utilisé des bidons et réservoirs de pétrole qu’elle a ouvragé afin qu’en émergent des mappemondes fictionnelles. La production que Lane présente en 2012 utilise encore un matériau représentatif des mœurs de la société occidentale : elle travaille cette fois l’artillerie militaire, symbole de l’armée et de la ferveur patriotique américaine.

Alors que la seconde exposition alimentait une réflexion sur les effets environnementaux de la surconsommation du pétrole ainsi que le caractère pernicieux de cette dépendance que l’Amérique s’est-elle même infligée, la troisième interroge la dynamique des relations de pouvoir. Le spectre du conflit armé en Irak conclu récemment suscite un questionnement sur les valeurs qui animent et motivent ce type de rapports de force. À travers son travail, Lane s’intéresse aux comportements relationnels occidentaux qu’elle expose aux spectateurs en tant que témoin plus ou moins impuissant.

L’artiste, native d’Halifax, utilise la découpe au chalumeau en pratiquant des ouvertures dans un produit utilitaire qu’elle sélectionne consciencieusement pour sa valeur symbolique, iconique. En prélevant un objet de son contexte usuel, elle le dépouille ensuite de sa fonctionnalité pour lui en substituer une nouvelle, plutôt esthétique, ornementale.

Lane a choisi des boîtes de munitions qu’elle éventre et accroche aux murs de la galerie. Elle exécute sa dentelle en périphérie de l’inscription du contenu de chacune d’elles afin que leur fonction initiale demeure malgré tout identifiable, bien que neutralisée. L’immense tuyau d’égout est sectionné en fragments ouvragés avec minutie, mais ses fonctions potentielles de protection et de dissimulation se trouvent maintenant réduites à néant. Les fresques que Lane découpe présentent des personnages mythologiques en situation de combat, évoquant l’ornementation chargée du style rococo, et exacerbent par contraste la fonction destructrice et tactique des produits ouvragés.

Lane joue également avec les conventions du milieu de l’art, notamment avec la hiérarchie entre le non-art, les arts dits mineurs et ceux majeurs. Elle utilise un produit usiné, qu’elle transforme par la soudure, travail manuel associé au genre masculin, pour devenir une dentelle métallique, reliquat de la pratique artisanale jugée essentiellement féminine. Le travail de soudure de Lane dans cette exposition se voit d’ailleurs bonifié d’une nouvelle signification féministe: en effet, la Seconde Guerre Mondiale a permis aux Nord-Américaines d’accéder pour la première fois à des métiers en usine jugés jusqu’alors masculins, telles celui de riveteur ou soudeur, comme en témoigne l’icône populaire Rosie la riveteuse.